Test | Millennia : Paradox dans « l’ère » du temps

Après avoir conquis les terres arides de la grande stratégie, Paradox explore les contrées du 4x avec l’édition de Millennia. Un titre aux mille promesses et cherchant à revisiter le genre, qui a pourtant frôlé la corbeille dès les premières minutes de jeu. Pensez donc, dans son audace débordante il a osé choisir Bordeaux comme capitale pour ma nation, à moi, un Toulousain ! Blague à part, une fois l’acclimatation faite à son système et, quand même, le bouton pour renommer les villes trouvé, un intéressant 4x s’est dévoilé sous mes yeux.

10 000 ans d’histoire

À la façon d’un Civilization, Millennia transporte le joueur et son empire de l’âge de pierre vers le futur. Malgré mon appréciation pour Old World et sa représentation fine, pour un 4X, de l’antiquité, je retrouve avec plaisir cette course cocasse et anachronique qui fait le charme du genre. Développement territorial et économique, guerres, diplomatie, nous sommes sur le papier en terrain connu, installés confortablement dans nos charentaises. Pourtant, Millennia brille par cette audace qui l’habite, par le coup de pied fiché en plein dans les codes du genre, chamboulant tout dans son impact, du système économique à l’évolution de la nation en passant par le fonctionnement des âges. Et c’est un réel plaisir de découvrir et décortiquer cette formule.

Techniquement daté

Ce qui se dévoile également sous mes yeux, c’est l’aspect technique en deça des standards du genre. Ce n’est pas une surprise, Millennia arbore un visuel minimaliste correct en vue globale mais qui montre ses faiblesses en usant du zoom. Même constat pour l’interface, inégale et revêtant des airs de jeu mobile. On s’habitue malgré tout car l’ensemble est fonctionnel, limpide, et que la réflexion accapare toute notre attention. Passé les premières minutes, on oublie. J’éprouve davantage de difficultés face à l’écran de résolution des combats, où ces mêmes modèles peu détaillés et encore moins animés s’affrontent. Le résultat est lunaire et je m’empresse d’accélérer, ou de passer, cette phase dont je ne saisis pas l’intérêt en dehors de nous informer du type d’unités et de protections présents. Fort heureusement, cette fenêtre sera le principal reproche que je ferai à Millennia, puisque le cœur du jeu se trouve ailleurs et se révèle excellent.

Anatomie de ce 4x paradoxal

Une nation à la carte

Contrairement à son concurrent direct, Millennia opte pour un système de nation générique que le joueur développera à travers une multitude d’axes pour créer sa propre histoire. Le choix de la nation de départ n’est en effet que cosmétique, déterminant votre drapeau et le nom des villes que vous bâtirez pour l’intégralité de la partie, exception faite du bonus de démarrage, non lié à un pays et également à la carte.

La base de votre nation repose sur le régime politique choisi. Commençant au stade de tribu, votre empire s’ouvrira à de nouvelles formes de gouvernement au fil de la partie : dynastie impériale, monarchie, république… une sélection qui définit les bonus passifs et donne une direction générale à votre nation pour le long terme, que je trouve néanmoins peu impactante en comparaison du reste. Au cours de la partie, vous serez à même d’organiser à maintes reprises une révolution, pacifique ou violente, pour changer de régime.

Le développement de votre empire se gère depuis six domaines qui apparaîtront au fil de votre évolution :

  • Gouvernement : Améliorer ou changer le régime, fonder une ville vassale…
  • Exploration : Recruter un éclaireur, revendiquer une case adjacente…
  • Guerre : Enrôler des renforts, ordonner une marche forcée…
  • Ingénierie : Développer les villes secondaires, installer un avant-poste…
  • Diplomatie : Recruter un émissaire ou un marchand, intégrer un vassal…
  • Arts : Réduire l’agitation du peuple via les arts et la fête, répandre sa religion, lancer une vague d’immigration…

Votre esprit national vient par la suite spécialiser votre nation dans un des domaines ci-dessus, avec plusieurs options disponibles pour chacun. Vous visez une réputation de pays aux penchants pour la guerre ? Plutôt du genre pillard ou guerrier ? Allié des barbares ou religieux en croisade ? 32 esprits nationaux sont disponibles, dont quatre à choisir à chaque partie. Une sélection fort satisfaisante et riche en possibilités.

Dans le respect de la tradition 4x, Millennia propose également un développement technologique. Sectorisés par âges, les technologies descendent de l’arbre et s’apparentent à des packs, thématiques et indépendants, ouvrant l’accès à de nouveaux bâtiments ou nouvelles unités. Vous choisissez ceux qui vous intéressent puis pouvez délaisser les autres, sans être bloqué dans votre développement.

Enfin, votre empire ne serait rien sans culture. Grand domaine parmi les domaines, la culture lie les 6 axes ci-dessus et la recherche technologique, pour qui elle propose des options de développement majeures. La culture représente les évènements historiques qui façonnent votre nation : créer une ville, organiser une révolution pacifique, forcer une trève, fonder une religion…. Mais attention, la culture est une ressource capable de fluctuer vers la négative. Gare au déclin intellectuel !

Passé un certain âge, de nouvelles options apparaissent mais restent secondaires. Ce système de nation à la carte est une bénédiction pour les amateurs d’optimisation et de dédales stratégiques, mais il s’impose au détriment du charme, relégué au dernier plan. Millennia est un jeu générique. Il ne vous fera pas voyager comme peut le faire un Old World. Il est modulable, et donc difficilement crédible. Vos avions de chasse apparaîtront éventuellement au XIXème siècle et Pékin peut se situer à côté de Toulouse. Vous le lancez pour cogiter, pour vous surcharger les méninges, pas pour vivre un moment de stratégie sous fond romanesque ou rôliste, et encore moins en simulation à forte véracité historique et géographique.

Un système économique malin

Dans Millennia, le cœur de votre économie se situe dans vos capitales. Contrairement aux vassaux qui génèrent un faible revenu passif, les capitales sont sous votre contrôle direct et demandent une gestion sur deux plans : la construction « intra-muros » et le développement régional. Flanquant les traditionnels ouvriers à la porte, Millennia opte pour un système différent, initialement déroutant mais qui fait sens.

Depuis le volet construction, vous choisissez quel édifice ou quelle unité vous allez produire. Les constructions proposées ici représentent en réalité des projets uniques, qui prennent plusieurs tours à être construits -selon vos capacités de production-, ne seront pas visibles sur la carte et octroient un bonus permanent, mais limité, de ressources ou de points d’expérience.

L’essentiel de votre production se gère depuis le second volet, avec les aménagements et les travailleurs.

Les aménagements s’apparentent aux constructions d’un 4x classique. Ils se placent physiquement sur votre région et produisent des ressources … à condition d’y attribuer des travailleurs ! Le nombre d’ouvriers, fort limité, est indexé sur la population de votre ville, qui augmentera si les besoins de vos citoyens sont comblés et les ressources en excédent. Il vous faut donc jongler avec vos ouvriers et les attribuer selon vos besoins. Les aménagements ont également comme particularité de ne pouvoir être placés que sur des zones adéquates. Fini les fermes ou carrières agglutinées par dizaines, vous êtes maintenant contraint par les types de ressources qui vous entourent et forcé de jouer l’opportuniste. Du moins jusqu’à l’arrivée du commerce.

Ce système plaisant prend tout son sens avec la mise en place de chaînes de production. Le bois amassé par le bûcheron vous rapporte par défaut des points de production, mais si vous en faites des planches avec une scierie, elles vous rapporteront une production double ainsi que des richesses. Si vous en faites des manuscrits religieux, vous en tirerez plutôt de la foi. Les vertus de l’huile de lin ne sont plus à démontrer, j’ai cependant stoppé la production pour la remplacer par le textile qui m’est plus utile. Vos opportunités dépendront des ressources présentes dans vos régions, renforçant l’intérêt de les spécialiser puis de commercer entre vos différentes capitales et les autres nations. Je suis agréablement surpris par ce système organique et crédible, plus stimulant que les visions traditionnelles de l’ouvrier dans le monde du 4x et qui devient un sacré casse-tête sur le dernier tiers de la partie !

Dans la fleur de l’âge

Cheval de bataille de Millennia, le système d’âges a lui aussi été revu pour un résultat complet et franchement convainquant. Commune à tous les joueurs, la chronologie de la partie se compose par défaut de dix âges historiques mais peut dévier vers un scénario alternatif selon les choix et actions de chacun. C’est ainsi qu’un joueur vivant dans l’insalubrité fera basculer, s’il le souhaite, la partie vers l’âge de la Peste, ou qu’un empire belliqueux emmènera les autres vers l’âge du sang, forçant la guerre entre tous les empires. À l’inverse, un joueur peut diriger la partie vers un âge qui lui sied bien, comme l’âge de l’utopie qui ouvre la possibilité de construire des villes sous-marines. Car chaque âge, plus qu’un simple palier, apporte avec lui son lot d’unités et technologies, mais aussi de règles et défis altérant et dynamisant la partie. Boutés hors de leur zone de confort, les joueurs doivent sans cesse s’adapter. Un excellent point.

La transition vers un autre âge se débloque après avoir recherché un nombre défini de technologies de l’âge en cours. En véritable course, le premier joueur ayant terminé la recherche d’un nouvel âge trace la voie et force ce choix pour les autres nations. Il gagne au passage des points d’innovation, qui génèreront des évènements positifs au sein de son empire. Sa précipitation peut cependant l’handicaper puisque le trop plein de savoir se paiera par une déficience ailleurs. Fait appréciable, le jeu informe tous les joueurs de l’avancée vers le nouvel âge, préparant ces derniers au changement et renforçant la compétition. Une fois la transition faite, les technologies non recherchées des âges précédents restent accessibles et remisées, laissant penser qu’il est tout de même préférable de ne pas se laisser distancer dans la course à la modernisation.

Cet excellent concept ne s’arrête pas en si bon chemin et réalise le vœu de nombreux amateurs de 4x. Un joueur dominant la partie et se sentant capable de gagner rapidement peut opter pour la transition vers un âge victorieux, où un défi attend toutes les nations. En cas de réussite la victoire est immédiate, évitant ainsi une fin de partie fastidieuse. À ce jour, 21 âges alternatifs sont disponibles, répartis en variantes, âges de crises et âges victorieux.

Manu militari

La guerre est bien sûr à l’honneur dans Millennia, qui propose près de 250 unités militaires. Nous sommes ici en présence d’un système de combat classique, comprenant points d’attaque et défense, jauge de moral et simples modificateurs. Il tourne toutefois autour de la construction d’armées contenues sur peu de cases, grâce à un système d’empilement des unités évolutif. Bien que non révolutionnaire, l’idée est appréciable à la fois pour le confort de jeu que pour la réflexion tactique, qui reste malgré tout basique en dehors de la composition de vos groupes. Mais quel régal de raser les aménagements de nos ennemis ou détruire les villes secondaires, flanquant ainsi un coup terrible à leur économie, capable de mettre à terre une capitale ou… générer de l’agitation.

Quand le problème vient de l’intérieur

Loin du mignon mécontentement de la gentille population de Old World, l’agitation est un véritable fléau capable de renverser le cours d’une partie. Vos citoyens sont à surveiller comme le lait sur le feu et à contenir au moindre écart. Car non sans être de plus en plus exigeants avec le temps, ils deviennent fainéants puis virulents au fur et à mesure que leur mécontentement grimpe, générant ainsi un cercle vicieux où leurs besoins sont encore moins comblés et leur colère grandissante. Besoins de nourriture, de logements, de propreté, de biens matériels… mais aussi de paix, de foi, d’éducation, d’énergie… L’agitation, puis le chaos, se traduira par des émeutes, des apparitions de rebelles, mais aussi par des révolutionnaires capables de vous bouter hors de vos capitales pour devenir une nouvelle nation indépendante.

J’ai perdu ma première partie de cette façon, pris dans mes élans de guerre incessants, où l’ia a finalement décidé de ne plus enterrer la hache alors que ma population me menaçait de tout foutre en l’air… Et elle l’a fait. Petit aparté sur l’ia, qui bien que manipulable se révèle aggressive, tant sur l’expansion de ses frontières que sur les plans diplomatiques et militaires. Je ne saurai juger de ses compétences en gestion mais j’atteste de ses capacités à enquiquiner sérieusement le monde ! Elle menace, extorque, tisse des alliances pour mieux attaquer son prochain, de façon moins organique que sur Old World (ma référence) mais tout à fait honorable.

Complexité modérée, grande profondeur

Millennia abonde, pour ne pas dire dégueule, de concepts et de leviers que je ne peux énumérer dans cette simple critique. Les évènements, les explorations, le système de vassalisation… Ils sont toutefois simples à comprendre et leur intégration progressive rend Millennia accessible, plus qu’un Shadow Empire ou un Old World, tout en offrant une complexité grandissante et une profondeur qui promet de longues heures de jeu et des parties différentes les unes des autres. Enfin, ça reste à voir. L’idée d’une nation générique et d’un début limité présente des risques de redondance, que je n’ai certes pas ressenti durant ce test mais qui peut survenir plus tard. Et n’est-il pas là, au fond, le test ultime pour un 4x ?

État du jeu & prévisionnel

La toile a vu rouge lors de l’ouverture des précommandes, qui annonçaient un jeu à 40€ et une version Premium incluant deux futurs DLC à 60€ (débuts nomades et ambitions atomiques). Des heures passées à arpenter son univers, je n’ai pas eu la sensation de naviguer sur une version tronquée et recommande sans hésiter le jeu. Les dernières publications de Paradox annoncent également une ouverture aux mods, avec intégration du steam workshop, pour le courant 2024.

Côté jeu en ligne, seul le mode “hotseat” (chacun son tour) est disponible au lancement. Le mode simultané, prévu par les développeurs et prioritaire, verra le jour ultérieurement. Une ombre au tableau négligeable pour beaucoup, mais à signaler vu la durée des parties.

L’âge des félicitations

Que j’aime voir un jeu oser et réussir dans son entreprise ! Malgré ses lacunes techniques, Millennia propose un système de jeu malin et passionnant à découvrir. Il s’impose à mes yeux comme une solide alternative à Civilization et se différencie suffisamment de Old World pour siéger à ses côtés en 4x de chevet. Reste maintenant à voir comment il se comportera face à l’épreuve du temps. Avec autant d’âges, ce serait après tout un comble qu’il ne tienne pas sur la durée.

Pour en savoir plus sur Millennia, sa page steam. L’année 2024 continue de dérouler le tapis rouge au contenu qualitatif. Vous souhaitez connaître les prochaines sorties notables ? Ma liste des essentiels 2024 saura vous aiguiller.

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