J’éprouve un certain plaisir à alterner la réflexion complexe d’un jeu exigeant avec quelque chose de plus léger, de plus rapide à jouer. Dans le jargon du wargamer, on appelle ces jeux des Beer and Pretzels, souvent recommandés pour s’initier en douceur aux plaisirs du belliludisme. C’est sur cette voie que se lance Slitherine avec l’un de ses titres phares de 2024 : Headquarters : World War II. Un jeu de tactique au tour par tour qui, sur le papier, possède de nombreux atouts pour devenir une référence en la matière.
P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non.
Sous ce titre explicite se dévoile un théâtre original : la seconde guerre mondiale. Plus précisément le front de Normandie, même si l’organisation du menu de campagne ne laisse que peu de doutes sur l’arrivée prochaine de théâtres supplémentaires. Omaha, Carentan, Falaise… tant de lieux méconnus que nous pouvons enfin redécouvrir avec des graphismes nouveaux. Trêve de plaisanterie, Headquarters : World War 2 joue, et de façon totalement assumée, la carte du classicisme absolu, teinté de clichés et dépeignant une vision Hollywoodienne de la guerre. On y « casse du boche » sous les directives d’un capitaine à l’accent forcé, et les killcams à la troisième personne (optionnelles) nous transportent au plus proche de l’action. Si vous êtes bon public de ce type d’ambiance il est fort probable que HQ:WW2 vous plaise. Si ce n’est pas le cas, comme moi, l’enrobage de la campagne vous laissera de marbre et vous passerez d’un clic les quelques commentaires de votre supérieur pour vous concentrer sur la bataille.
Une histoire de bocages…
Le mode campagne constitue le pan principal du jeu. Trois campagnes indépendantes de 9 missions, soit 27 au total, mettent en scène les Américains, les Britanniques et les Allemands à travers des scénarios scriptés et liés par un système de gestion de son armée.
Les missions se déroulent sur des cartes de taille modérée, une trentaine de cases de longueur, avec les objectifs principaux et secondaires se dévoilant au fur et à mesure de votre progression. Un symptôme souvent annonciateur du terrible syndrome du puzzle game, pourtant ce n’est pas le cas ici. Bien que le joueur soit contraint, la liberté tactique reste présente et soutenue par la (très) large limite de tours, la destruction de l’environnement et le système de composition d’armée. En sus des troupes inhérentes à chaque mission, votre noyau d’unités est personnalisable et évolutif, vous laissant aborder les missions à votre guise.
Si les campagnes se laissent jouer et offrent près de trente heures de réflexion tactique, je présente aujourd’hui des difficultés à m’extasier devant des missions aussi scriptées. J’accepte que des renforts, alliés ou ennemis, surviennent au bout de 10 tours, formulation crédible d’un délai de déplacement suite au début des combats. J’accepte moins qu’ils apparaissent soudainement, déclenchés par la capture d’un point de contrôle. Les missions restent malgré tout suffisamment variées pour relancer l’intérêt du jeu et, heureusement, certaines s’avèrent plus organiques et plaisantes que d’autres. Après réflexion, j’ai essentiellement rouspété sur les premières missions, pour ensuite apprécier l’expérience ainsi souhaitée par les développeurs.
Je reste en revanche agréablement surpris par la difficulté, relative, du jeu. Pour un titre qui selon moi vise un public débutant ou occasionnel, et passé les premières missions, Headquarters : World War 2 ne fait pas de cadeau malgré son IA limitée. Pour l’avoir abordé la fleur au fusil, j’ai terminé plusieurs missions avec trois pauvres gus amochés et soigneusement micro-gérés. Rien d’insurmontable ceci dit, prendre le temps d’analyser la situation et progresser méthodiquement viendra à bout de chaque mission avec facilité.
…ou des bocages sans histoire
L’escarmouche se déleste des échanges clichés et des scripts de la campagne pour proposer un plaisir tactique brut et intéressant.
Jouable en solo ou en multi-joueurs jusqu’à quatre, il se révèle complet et paramétrable, pour une partie rapide riche en action ou une longue guerre d’usure. Si le jeu propose de multiples conditions de victoire, l’essentiel reste une lutte pour le contrôle de plusieurs points disséminés sur la carte, où les joueurs utilisent le budget alloué pour acheter les unités et renforts de leur choix. Un des gros points forts du mode escarmouche : son générateur de cartes ainsi que le simplissime et puissant éditeur, nous réservant d’ici peu une belle collection à télécharger.
Ombre au tableau, l’IA m’a semblé perdue lors des combats de rencontre, limitant l’intérêt de l’escarmouche pour les joueurs solo le temps que la communauté sorte des missions bien ficelées (bidouillées) ou que l’équipe de développement corrige ce qui semble être un bug (*Note du 24 avril : il s’agissait bien d’un bug, en cours de correction*). Pour le multi-joueurs en revanche, on tient ici un titre prometteur, sans réelle concurrence et au système de jeu qui s’y prête bien. Système qui, d’ailleurs, rappelle vaguement un autre titre…
Battle Academy nouvelle génération
Headquarters : World War 2 s’inspire de Battle Academy, célèbre jeu tactique de Slitherine recommandé pour les nouveaux wargamers et les amateurs de Beer & Pretzels. C’est une excellente nouvelle. Malgré ses qualités, Battle Academy devient obsolète, avec son moteur rigide et ses graphismes d’un autre temps. Je doute de ses capacités à charmer un nouveau public et l’invite à profiter d’une retraite bien méritée maintenant que la relève se présente. HQ:WW2 reprend donc les rênes et les principes de son aîné, à savoir un système accessible mais non simpliste, endossant pour l’occasion un visuel moderne et étoffant le système de jeu.
Remarquable sur le plan technique
Développé sur le moteur Unreal Engine 4, et malgré un contraste et des tons pastel prononcés, Headquarters : World War 2 est superbe. Les cartes fourmillent de détails, de vie, je me suis surpris à plusieurs reprises à jouer avec la caméra pour en apprécier le spectacle ! De son côté, le moteur physique ajoute du dynamisme aux affrontements, avec les explosions qui projettent les sacs de sable ou les bâtiments qui se détruisent de façon crédible. Le résultat reste perfectible mais représente un sacré bond en avant pour l’univers bien austère du wargame.
Même constat pour le confort de jeu. Exit le moteur de Field Of Glory, rigide à souhait, l’Unreal Engine 4 fluidifie l’expérience de l’utilisateur de façon drastique. Le jeu répond à la perfection et les unités se contrôlent avec aisance, sans temps mort et sans manipulation complexe. Le jeu autorise même à passer toutes les animations d’un simple clic, entretenant ainsi le rythme « soutenu » des affrontements. La caméra, libre, possède un zoom puissant et pratique pour bien cerner les lignes de vue, ainsi qu’un zoom arrière lointain, passant en vue aérienne, tout aussi recommandable. L’interface se veut sommaire mais fonctionnelle, je regrette en revanche les contours des unités, certes utiles mais détonnant du reste et brisant l’équilibre visuel.
Une formule hybride au lourd bilan carbone
Headquarters : World War 2 opte pour un système de jeu hybride, à savoir une base arcade intégrant des éléments de simulation. C’est ainsi que vous détruirez une maison avec seulement quatre obus, ou que vos éclaireurs possèdent une capacité révélant –pour le tour seulement- les ennemis cachés à proximité. Plus étonnant encore, vous ne pouvez pas allonger ou accroupir vos soldats, ni monter un étage. En réalité, le jeu limite la micro-gestion au strict minimum.
D’un autre côté, le jeu intègre une notion de moral, brisant progressivement votre adversaire à chaque tir, même manqué. Il propose également des systèmes de reconnaissance et de couverture élaborés, utilisant les caractéristiques des unités, des différents types de terrains et des obstacles épars. L’altitude n’est pas en reste, influant positivement sur vos capacités de combats. De plus, les tanks possèdent des blindages distincts et une réelle faiblesse sur le toit, augmentant l’intérêt de faire pivoter leur châssis et de tenir compte du relief pour les manoeuvres.
Lorsque votre unité subit une perte, cette dernière se caractérise par le décès d’un membre de l’équipe, ou de l’équipage, entravant de ce fait les capacités de l’engin ou de l’escouade. Idée intéressante, dont le caractère punitif se voit allégé par l’ordre de renforts (ou de “résurrection”), disponible une fois tous les trois tours et pour une seule unité. Vous remarquerez sur la capture à côté la santé critique de mon unité d’artillerie, dont il ne reste qu’un homme sur les cinq.
Au final, Headquarters : World War 2 nous sert un drôle de mélange. Une formule déroutante pour le grognard, qui trouve pourtant son propre équilibre. Dès que l’on accepte de jouer avec ses règles, le jeu se dévoile pour devenir un sympathique wargame léger, idéal pour une soirée relax ou une joyeuse castagne entre amis. Létal mais didactique, son système se révèle en revanche adéquat pour un débutant, qui développera ses notions de tactique à travers des affrontements rapides et rythmés.
Le Beer & Pretzels se modernise
Avec ses graphismes modernes, son rythme soutenu et sa formule accessible mais non dénuée de profondeur, Headquarters : World War 2 s’avère idéal pour s’initier au wargame ou profiter d’un plaisir tactique léger. S’il n’obtiendra pas les faveurs des joueurs les plus exigeants, il réussira tout de même à charmer certains grognards, ne serait-ce que par la présence d’un mode multi-joueurs complet, qui se prête bien au format de jeu et s’accompagne d’un éditeur de mission convainquant et promettant une belle longévité au titre.
Pour en savoir plus, la page steam du jeu. Je vous invite également à lire ma liste des jeux prometteurs de l’année 2024, incluant Headquarters : World War 2.
Mouif un drôle de mélange . Emprunte a “the troop” pour ces kills cams (jeu sorti en 2023) . Une dimension stratégique mais qui marche aussi système pour la gestion du moral . Plutôt beau et avec ces environnements destructibles . Mais question renforts mêmr en prenant des points j’en ai jamais eu. Bref j’espère des patchs qui vont réparer tous ces petits problèmes et booster un peu lia .
Vous faites bien “achat” puis “déploiement” ? Si oui étrange, je vous invite à faire remonter le bug.
L’ia du mode escarmouche s’est considérablement améliorée avec les 2 derniers patches. Ce n’était pas difficile, mais il reste encore un peu de boulot.
Je touche aux trois campagnes en même temps . Côté joueur allemand . Américain ou anglais . En face l’ia on a quasiment rien . Pour achat et déploiement . C’est pour l’escarmouche ou campagne ? Non ya vraiment un problème d’équilibrage des forces . De plus l’artillerie bof ça touche pas grand chose . Faut encore patcher ..
On parlait bien du mode escarmouche. Mais oui, il y a encore du boulot concernant l’ia, quel que soit le mode de jeu.
Étonnante votre remarque sur l’artillerie, je la trouve au contraire bien trop forte.