Test | Endeavor : Eaux Profondes

Dans ma quête de fin collectionneur, je recherche régulièrement des jeux aux caractéristiques précises afin d’offrir un panel complet à mes envies ou mes invités. Parmi les candidats complexes à débusquer : le jeu expert intéressant seul comme à plusieurs, doté d’une forte rejouabilité et proposant des parties ne dépassant pas l’heure et demi. Il ne m’a donc pas fallu hésiter longtemps pour jeter mon dévolu sur Endeavor : Eaux Profondes, sorti ce mois de septembre 2024 et qui, sur le papier, coche toutes les cases.

20 000 tuiles sous les mers

Suite de Endeavor : L’âge de la Voile, Eaux Profondes conserve le thème marin cher à la série mais quitte l’univers des conquêtes maritimes du XVème siècle pour un sujet contemporain : la préservation des océans. Aux commandes de leur(s) sous-marin(s), les joueurs explorent un océan de tuiles formé aléatoirement, de la surface à la zone abyssopélagique, afin de réaliser des objectifs, publier dans des revues scientifiques et participer à la préservation de la faune locale.

Un thème écologique discret, que l’on retrouve cependant jusqu’aux matériaux utilisés pour les composants. Ici pas de plastique, tout est en bois, carton ou matériau “vert”, même les sachets de rangement ! Je salue cette initiative appréciable qui n’entache en rien les plans visuel comme tactile, avec ces nombreux pions épais et colorés agréables à manipuler qui se fondent à merveille avec l’élégante direction artistique du titre. Cerise sur le gâteau, le jeu intègre par défaut un joli compartiment pour les cartes spécialistes, addition bienvenue qui facilite avec style la mise en place et le rangement.

Accessible et stimulant…

Basé sur des règles simples, Endeavor s’apprend en un clin d’œil et se joue en moins de 30 minutes par joueur, explication des règles incluse. Pour une fois, le temps de jeu s’avère juste, presque estimé à la hausse ! Nous n’avons jamais dépassé l’heure et demi, même à 4 joueurs. J’ai cependant ressenti une pointe de déception lors de mes premières parties car Endeavor n’est en aucun cas un jeu expert mais un titre pour initiés. Erreur de ma part lors de ma recherche ou changement de dernière minute de l’éditeur, qui ne l’affiche plus ainsi tout en maintenant un âge minimal conseillé de 14 ans, mystère. Quoi qu’il en soit, Endeavor reste un jeu accessible mais hautement calculatoire, et stimulant comme il se doit nos méninges, surtout en fin de partie. Une brève déception donc, qui a rapidement laissé place au plaisir de jeu grâce à une expérience stratégique sans fioritures.

… grâce à sa boucle simple…

Une partie se joue en 6 tours, 7 pour le solo, chacun divisés en deux phases. Lors de la première, chaque joueur recrute un spécialiste, gagne X jetons action, puis en récupère un nombre Y sur les spécialistes activés le tour précédent. Tout cela dépendant de la stratégie opté par chacun, comme nous le verrons plus bas. Ensuite la phase 2 commence. À tour de rôle, les joueurs activent un spécialiste de leur choix pour jouer l’une des actions permises par ce dernier, jusqu’à ce que tous les joueurs passent leur tour faute de pouvoir jouer. Fin du tour, on recommence, passant progressivement notre équipage de 1 à 7 personnages et ouvrant de plus en plus notre jeu.

Cap sur le recrutement

Voici un spécialiste parmi la vingtaine de disponibles.

On remarque en haut à droite son “coût” de recrutement, deux points de réputation. Il s’agit d’un seuil d’éligibilité et non une ressource à dépenser. En bas à gauche, le bonus de recrutement. Vous progressez immédiatement d’une case sur la bande verte en le choisissant. À droite, les actions possibles : déplacement ou sonar. Enfin, dans la bande marron, un aperçu des nouvelles caractéristiques du spécialiste si vous le faites évoluer grâce à la publication d’un article. Dans le cas présent, il fera une action sonar puis plongée, soit deux actions au lieu d’une (au détriment de sa capacité de déplacement).

Les actions

À l’exception du chef d’équipe, unité de départ 100% polyvalente, chaque spécialiste est capable d’effectuer une à deux actions parmi les 5 disponibles :

  • Déplacement d’un sous-marin, afin d’agir sur de nouvelles zones.
  • Sonar, pour découvrir et placer de nouvelles tuiles océan.
  • Plongée, permettant de gagner des points de recherche et des bonus surprises (points d’évolution, jetons action, avantages divers…).
  • Conservation d’une espèce, action abstraite octroyant une récompense connue moyennant des points de recherche.
  • Publication d’un article, alternative à quelques détails près de l’action de conservation. Elle octroie régulièrement des points de victoire ou la possibilité de faire évoluer un spécialiste, mais donne souvent un bonus aux autres joueurs.

Fait intéressant, les déplacements et le sonar font également gagner des bonus dépendant de la zone d’arrêt (pour le déplacement) et de la tuile posée (pour le sonar). Les joueurs évoluent donc à chaque action et progressent par conséquent de plus en plus vite au fil des tours puisqu’ils jouent un plus grand nombre de spécialistes.

En dehors du déplacement ou de la plongée, qui nécessitent un seul jeton à poser sur son spécialiste, les autres actions requièrent la pose d’un second jeton sur l’emplacement de la tuile prévu à cet effet. Toutes uniques, les 37 tuiles océan hébergent chacune différents types d’actions en quantité limitée. Certaines seront spécifiques à la plongée, d’autres à la conservation, quand d’autres proposeront un peu de tout. Ici se joue un axe de développement important puisqu’il faut prévoir les spécialistes adaptés à notre environnement et gérer avec soin son quota de jetons, sous peine de ne pas pouvoir jouer. La douce tension qui se dégage lorsque les joueurs se battent pour le dernier emplacement de sonar s’avère délicieuse. Bien que subtile et indirecte, l’interaction entre joueurs est bien présente.

Le plateau individuel

Les règles comprises, vous pouvez maintenant cogiter sur votre plan de développement. Il se déroule en amont, sur votre plateau de jeu composé de quatre pistes qui évolueront selon vos recrutements et les bonus obtenus grâce à vos actions.

  • En rouge, votre réputation. En progressant sur cette piste, vous pourrez recruter des spécialistes de rang supérieur. Une brève note concernant le bel équilibrage du jeu, qui réussit à garder intéressants les spécialistes de niveau 1 tout le long de la partie, entre autres pour leur bonus de recrutement.
  • En vert, l’innovation.  Plus elle est avancée, plus vous obtenez de nouveaux disques (jetons) action en début de tour (de 1 à 5). Un axe important puisque 3 actions sur 5 en nécessitent 2.
  • En jaune, votre coordination. Cette fois, vous augmentez le nombre de disques action que vous pouvez récupérer depuis vos spécialistes. Une piste à ne pas négliger puisqu’un jeton non récupéré empêche l’activation du spécialiste concerné.
  • Enfin, en bleu, votre avancée technologique. Elle régit votre capacité de déplacement, en nombre de cases comme en niveau de profondeur accessible, puis ajoute de nouveaux sous-marins utiles pour mieux contrôler l’espace de jeu.

… et capable de générer une belle paralysie analytique

Ces principes simples mais bien pensés rendent le jeu intéressant sur le plan stratégique et autorisent des approches variées et situationnelles, dépendant des missions et de ce que nous offre l’océan. En recrutant tel spécialiste, j’améliore ma piste coordination qui me permet dorénavant de récupérer 2 jetons au lieu de 1. Pouvant grâce à cela rédiger un article qui nécessite deux jetons, je fais évoluer un spécialiste bloqué par un disque non récupérée, améliorant cette fois ma piste technologique au niveau 3 et récupérant au passage le disque posé dessus, qui me servira pour me déplacer vers la nouvelle profondeur. Endeavor revêt d’une certaine façon des airs de construction de moteur, avec ce côté calculatoire qui rappelle, dans une moindre mesure, It’s A Wonderful World et Terraforming Mars. On retrouve d’ailleurs ici les débuts de partie limités et les fins casse-têtes riches en actions en cascade, caractéristiques de ces deux jeux.

Quid du contenu

Endeavor fonctionne avec un système de missions modifiant la mise en place (structure de l’océan, tuiles de départ…), les objectifs de la partie (scanner les colonnes B et C, rédiger un maximum d’articles, être présent au niveau de profondeur 4 et 5…) et l’arbre de récompenses sur lequel les joueurs placent des jetons Impact, obtenus en cours de jeu, pour gagner bonus et points de victoires supplémentaires. Au nombre de 10, les missions assurent au titre variabilité et longévité au-delà de la simple pioche aléatoire des tuiles océans et des différentes cartes. Il reste à voir si la profondeur relative du titre lui permettra de subsister ou si une extension sera nécessaire pour l’étoffer tant sur les mécaniques que sur la variété des situations.

Côté solo (et coopération) le jeu se joue de la même façon, avec pour seule différence la condition de victoire. Au lieu de partir à la pêche aux points, le joueur doit réaliser un nombre défini d’objectifs, tirés du plateau mission et d’un deck spécifique. Il en ressort un agréable puzzle, quoique plutôt difficile, lors duquel vos plans seront chamboulés par trois évènements décidés à briser le déterminisme ambiant. Quand les courants marins remplacent la compétition entre les joueurs… Petit bémol, le deck objectifs & évènements ne contient que 12 cartes et une partie en requiert 6 à 7. On retombe donc rapidement sur les mêmes cartes, que l’on vient à anticiper.

We all live in a yellow submarine

Avec son concept simple mais non dénué de profondeur, Endeavour : Eaux profondes se révèle convainquant. S’il manque de densité pour prétendre au statut de jeu expert, sa formule accessible et rapide mais suffisamment cognitive a su séduire joueurs occasionnels comme aguerris autour de ma table. Un avantage indéniable qui lui assure des sorties régulières, observé d’un œil jaloux par les jeux experts de l’étagère qui espèrent un jour être manipulés. Il reste à voir comment le jeu tiendra face au passage du temps et à l’enchaînement de parties. Ce serait le comble, pour un jeu de sous-marins, de faire une brève prestation de surface avant de couler dans les tréfonds de notre mémoire.

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