Test | Farthest Frontier

Après avoir secoué le monde du hack’n’slash avec l’excellent Grim Dawn, réputé tant pour ses qualités ludiques que pour son incroyable suivi, Crate Entertainment s’attaque désormais à l’univers du jeu de gestion. Le projet, Farthest Frontier, sort enfin en 1.0 après 3 ans d’accès anticipé. Et si ce palier représente un simple chapitre pour cette nouvelle aventure, le résultat, bien que perfectible, se révèle déjà à la hauteur des plus grands jeux du genre.

Dans ce simulateur de colonie médiévale, vous et une poignée d’habitants excédés par votre roi néfaste fuyez en quête d’un meilleur avenir. Après avoir sélectionné l’un des 6 biomes et généré votre terrain de jeu, vous placez votre mairie de fortune de façon stratégique, prêt à survivre aux turbulences des premières années.

Sous ses airs de survival, Farthest Frontier se révèle en réalité poétique. Le vibrato apaisant des violoncelles accompagne le passage des saisons et les déambulations de vos habitants. Les feuilles mortes s’envolent avec le doux vent d’automne, avant de laisser la vedette à cette neige qui tapisse avec discrétion la carte pour fondre au printemps en dévoilant les charmes de votre village. Village dans lequel les cervidés s’aventurent de façon nonchalante avant de grappiller avec innocence le fruit de votre travail dans les champs. Je n’ai pu m’empêcher d’esquisser un sourire lorsqu’une chèvre s’est échappée de son enclos mal conçu pour s’offrir un généreux buffet dans le champ voisin alors que la bergère lui courrait après. On adhère ou non à sa direction artistique un peu terne mais le jeu est superbe et nous transporte illico dans un moyen-âge attachant, aidé par une modélisation précise des bâtiments et par le soin apporté aux moindres détails. Le titre se prête de ce fait à la contemplation, une tasse d’infusion ou de chocolat chaud à la main tel le parfait jeu d’automne.

Farthest Frontier reste cependant un jeu exigeant. Pas nécessairement punitif ni trop complexe, mais il demande malgré ses airs de city builder traditionnel un calibrage à sa quantité de contenu et à ses mécaniques nouvelles. Son plus gros apport au genre ? Une gestion poussée de la nourriture.

Farthest Frontier ou les secrets de l’agriculture

C’est en effet un véritable festin que propose le titre puisqu’une vingtaine d’aliments s’inviteront dans votre partie. Jeu de gestion médiéval oblige, vous n’échapperez pas aux classiques fonctions de chasseur, de cueilleur et de pêcheur pour nourrir votre peuple. Surtout au début. Mais vos habitants profiteront vite des bienfaits de l’agriculture et de l’élevage, ici travaillés à un niveau jamais rencontré dans un jeu de stratégie.

Une fois le périmètre d’un champ établi et ce dernier labouré, choisissez les cultures à semer parmi une douzaine. Du blé, du seigle, des poireaux, des carottes, des haricots… chaque culture possède 9 caractéristiques dont son rendement, la composition idéale de la terre, sa résistance au froid, à la chaleur… À vous de programmer votre rotation de cultures sur 3 ans pour maximiser votre production, garder votre sol fertile et prévenir les maladies ravageuses. Car les bambis gourmands seront les cadets de vos soucis. Installez au pire un chasseur à proximité des champs, ou des clôtures robustes, et l’affaire est réglée. La maladie en revanche, elle se veut insidieuse et peut pourrir un terrain pour plusieurs années. L’ennemi principal de Farthest Frontier ? La putréfaction. Fini les réserves gargantuesques de nourriture, ici elle se périme !

Le jeu indique d’ailleurs non pas le nombre de rations en stock (visible depuis les statistiques) mais les mois de réserves pour la population actuelle ainsi que la quantité qui finira gaspillée dans les 12 mois à venir si rien ne change. Nous sommes loin de l’habituelle production en masse de nourriture chère aux jeux de gestion, avec quelques mois seulement de rab au mieux et une probable chute en hiver faute de champs prolifiques. Variez les aliments, privilégiez ceux qui tiennent dans le temps et investissez dans des méthodes de conservation pour optimiser votre production et réduire vos pertes. Préférez le cellier à l’entrepôt pour stocker vos denrées. Le fumoir préservera viandes et poissons quand les tonneaux et les conserves -issus de belles chaînes de production- viseront d’autres familles d’aliments. Surveillez enfin toute prolifération de rongeurs avant qu’ils se chargent de rendre vos réserves impropres à la consommation.

Le casse-tête est excellent. S’il intimide au début faute d’être habitué à ce degré de précision, il devient ensuite une amusante formalité. La surcouche de complexité s’absorbe facilement et ajoute une réflexion stratégique supplémentaire qui touche à de nombreux plans. Récupérez les déchets organiques de votre population pour en faire du compost, que vous déverserez sur les champs de votre choix. Organisez les rotations de façon à avoir suffisamment de foin pour vos animaux, de lin pour les vêtements et le papier, de céréales pour le brasseur et le boulanger. Laissez un champ en jachère puis travaillez le pour le régénérer. Impossible de couvrir votre région de fermes faute de main d’oeuvre en quantité suffisante, il faut bien planifier. Et dès qu’un imprévu se pointe, on serre les fesses pour que la culture ne finisse pas à la poubelle.

L’élevage de bêtes se veut plus simple. On délimite la zone de pâturage, on achète vaches, poules ou chèvres auprès des marchands itinérants puis on les laisse se reproduire. Chaque animal apporte son lot de ressources en sus de la viande, comme le lait, les oeufs, les graisses ou les peaux, utilisées à des fins alimentaires ou pour la conception de vêtements et de savons. Un besoin soudain de plus de viande ? Couic ! Enfin, l’arboriculture n’est pas en reste, avec 3 arbres fruitiers à observer grandir et qui offriront à vos habitants une touche juteuse et sucrée bien que vite périssable en début de partie.

Je suis donc conquis par cette complexification du système de nourriture et d’agriculture qui selon moi apporte beaucoup. Au-delà des problématiques et des opportunités qu’il offre, il ajoute un degré de vie supplémentaire à un jeu déjà riche sur ce plan. Et ça, c’est crucial pour un bon jeu qui veut devenir grand.

Un simulateur de colonie plein de vie

Farthest Frontier vise en effet à offrir une expérience crédible et organique, que ce soit dans la gestion de la population, dans le dynamisme de l’environnement que dans l’évolution de votre partie. Vos habitants possèdent leur identité, leur métier et leurs propres jauges de satisfaction basées sur des dizaines de critères comme les types de nourriture et de biens à disposition. Leur quotidien ne se cantonne pas au travail. Ils vagabondent, rendent visite à leurs défunts au cimetière, se lavent, font la lessive ou des bébés (vos futurs travailleurs) et apprécient une longue discussion avec le voisin ou une bonne bière lors de leur temps libre. La liste est longue et en aucun cosmétique puisque ces activités agissent sur leurs caractéristiques. Il est tout de même amusant de les regarder faire, bien que par moment ils nous surprennent avec des situations saugrenues. Je pense à ce commerçant tout juste embauché qui finit ivre mort et n’arrive pas à terminer sa livraison avant le départ des marchands itinérants. Il a frôlé l’expédition en solitaire vers l’antre des loups… Méfiez-vous cependant des villageois mécontents qui trouvent refuge dans l’alcool et deviennent violents.

Dans Farthest Frontier les ressources transitent toutes de façon manuelle. Vos habitants se déplacent vers les entrepôts pour se servir ou déposer leur production. Ils marchent sac dans le dos ou brouette à la main pour, entre autres, fournir leur chantier, leur marché ou leur atelier. N’ignorez pas ces trajets puisqu’il s’agit d’un facteur de production à optimiser, comme le temps de travail effectif ou la qualité de leur équipement. Leurs chaussures s’usent en effet, comme leurs paniers et leurs outils. Prévoyez en outre des gîtes temporaires approvisionnés pour offrir à ceux qui bossent loin de leur domicile un abri en cas de danger ou de vague de froid. Point original, il est possible de contrôler directement chaque personnage, comme dans un rts. Je m’en sers par exemple pour explorer avec précision la carte, pour escorter des ouvriers avec des soldats ou des chasseurs, ou pour attaquer en groupe un camp de bandits ou un ours qui prend pour cible des villageois.

Le jeu affirme ses penchants organiques avec un développement libre de votre ville et dépendant des ressources à disposition. Tracez les sentiers comme bon vous semble et améliorez les bâtiments de façon individuelle, maison par maison, jardin par jardin. L’évolution est personnelle et fondue dans le temps. L’arbre technologique se veut pour l’occasion plus étendu que profond et relativement conséquent (140 technologies). Vous pouvez ainsi prioriser vos axes de développement selon vos envies ou vos besoins sans (trop) gaspiller des points dans des technologies qui ne vous intéressent guère. Enfin, le commerce possède une place de choix puisqu’il est peu ou prou obligatoire et plutôt satisfaisant. Spécialisez vous pour revendre aux marchands itinérants votre surplus et leur acheter les ressources ou produits manquants. J’ai pour ma part monté une activité de brasseur et les commerçants venaient des quatre coins du monde pour obtenir quelques litres de ma savoureuse bière au miel. 

Des menaces de tous types

Si la maladie touche vos cultures, elle frappe aussi votre population. Tout le panel de saloperies médiévales rendra visite à vos habitants et il faudra veiller à leur fournir le matériel adéquat pour une bonne hygiène, du confort et du soin. Les catastrophes naturelles feront de même, de l’incendie à la sécheresse en passant par le blizzard et les fortes chutes de neige. Prévoyez des puits, un grand stock de bois à brûler et de la nourriture en avance pour parer à toute éventualité. Une pensée aussi pour ces ours qui errent par mégarde près de votre territoire (ou le leur ?) avant d’y semer la zizanie. Un véritable plaisir qui tombe toujours au bon moment.

Enfin, les pillards (optionnels, comme les attaques d’animaux sauvages) attaqueront votre ville sur une base régulière et y mettront des moyens à hauteur de votre population. Je suis agréablement surpris par ce pan que je boude en général dans les jeux de gestion. La menace est présente mais reste gérable sans trop d’efforts, même sur la fin où les bandits équipés de chevaux, d’armes lourdes et d’engins de siège nécessitent plus de proactivité et d’investissement. Elle pimente votre partie sans trop entraver vos plans, sauf grosse négligence de votre part. Vous pouvez même recruter des soldats lors de l’assaut puis dissoudre ensuite votre armée pour limiter vos coûts d’entretien. Car là aussi il faut tout prévoir, de la moindre armure, arme ou flèche à concevoir jusqu’au moindre cheval à élever, en sus des frais d’entretien en or capables de vous effrayer les premières années… Je recommande donc de laisser l’option activée pour votre première partie. Pour la seconde pas forcément. Un défi pacifiste sur une carte plus contraignante me semble plus intéressant. 

Quid de la variété

L’objectif dans Farthest Frontier est de construire l’un des 3 monuments, preuve que vous avez achevé l’évolution économique, culturelle ou militaire de l’arbre technologique. Pour ce faire, vous construirez la quasi-totalité des structures existantes (une centaine, décorations non comptées) et consommerez l’essentiel des biens et ressources du jeu (~70). Passé ce cap, vous pouvez continuer la partie de façon libre puisqu’il restera de nombreuses améliorations cosmétiques ou technologiques, mais vous préférerez peut-être essayer un nouveau biome pour tester vos compétences en gestion avec de nouvelles problématiques. Le jeu propose à ce sujet de nombreux réglages pour personnaliser votre expérience, dont la désactivation de nombreuses mécaniques. 

Parce que quel que soit votre choix, vous ferez vite le tour de Farthest Frontier, qui vise des parties “courtes” (~30h) plutôt qu’une expérience unique qui s’étend sur plusieurs centaines d’heures. La raison : une fin de partie qui traîne en longueur et manque de stimulations à l’exception des rares invasions de pillards. D’une situation délicate au début on se retrouve dans l’abondance sans autre défi que celui que l’on s’impose (construire les 3 monuments par exemple, ou faire une belle et grande ville qui mettra le pc à genoux) au risque de s’ennuyer. Notez cependant que j’ai fait le même reproche à Timberborn et qu’il se peut que ce soit simplement moi qui ai un problème avec ça. Aucune agglomération esthétique n’a d’ailleurs été conçue durant ce test, bien que le jeu ouvre la voie à de très belles réalisations. Farthest Frontier bénéficiera toutefois d’un suivi sérieux en plus de son ouverture totale aux mods. Nous verrons donc peut-être des changements à ce niveau.

Quelques erreurs grossières

Vous l’aurez compris, j’adore Farthest Frontier. Mais le jeu n’est pas exempt de défauts, bénins, qui se révèlent agaçants et laissent sous-entendre une sortie précipitée. Je pense en premier lieu aux soucis de lisibilité. Farthest Frontier est un jeu détaillé et il devient vite difficile de repérer un bâtiment ou une ressource. Il existe bien des outils pour nous aider mais ils sont trop petits pour être utiles, le plus pratique étant celui qui met en surbrillance les bâtiments du type sélectionné. Faute de pouvoir régler leur taille pour le moment, il faut user de subterfuges : “construisez” par exemple une mine et les sources apparaîtront plus grosses. Si vous avez exploré votre environnement, vous pouvez aussi activer la mini-carte et jouer avec les filtres souhaités pour localiser les secteurs alléchants.

Et alors que le jeu s’avère capable de nous indiquer dans le détails de nombreux paramètres, il se révèle flou quant à la production et la consommation de ressources. Vous pouvez régler les ratios de production d’un bâtiment (ex : 1 lingot d’or pour 2 de fer) mais ne connaitrez pas la quantité que produiront vos effectifs en un temps donné (sauf à l’année), ni la quantité supplémentaire obtenue en ajoutant des travailleurs. Vous savez que 1 mois de nourriture va périmer, mais vous ne savez pas quel aliment ni où il se trouve. Une maison a besoin d’un bien précis que son marché possède, mais vous ne savez pas quand elle y aura accès. Il arrive aussi qu’un chantier n’avance pas, ou qu’un ouvrier se comporte de façon inefficiente. Seulement le jeu ne vous alerte pas et vous vous en rendrez compte par inadvertance ou en cliquant sur lui. Cela peut générer des situations gênantes, comme vos charrettes à l’arrêt alors que vos bâtisseurs s’approvisionnent, une unité de pierre à la fois, depuis une carrière éloignée au lieu d’avancer leur chantier qui dort depuis plusieurs années. Je regrette à ce sujet l’impossibilité d’affecter des transporteurs à des entrepôts précis, de prioriser le transfert d’un type de ressources et de créer des chaînes logistiques simples. Votre population se débrouille seule au risque de ne pas bien s’y prendre. Mais si l’on exclut quelques cas spécifiques, dans l’ensemble elle s’en sort pas trop mal.

Enfin, comme stipulé plus haut les fins de partie s’éternisent un peu trop. Le jeu pourtant organique se transforme peu à peu en puzzle et demande une optimisation fastidieuse du placement des décorations afin d’obtenir l’attrait nécessaire pour améliorer vos maisons aux derniers rangs. Et bien que cette mécanique soit désactivable, je vous conseille de la laisser car c’est elle qui gère les malus et vous force à placer les bâtiments polluants loin des zones résidentielles. Les technologies restantes se déverrouillent quant à elles trop lentement, même avec l’académie, les excavations de trésors et l’achat de manuscrits. De façon générale, Farthest Frontier est un jeu lent, avec une attente permanente de quelque chose qui incite à jouer à une vitesse X2 ou X3 avant quelques manipulations puis l’arrivée de l’attente suivante. Tiens, ça aussi je l’ai reproché à Timberborn (ça doit donc être moi le problème). Mais si cette attente reste acceptable en début de partie au vu de la quantité de choses à mettre en place, elle devient selon moi trop importante sur la fin où la ville est complète et stabilisée. Il manque des défis pour nous sortir de ce cycle et nous motiver à continuer au-delà de la victoire, au-delà du simple embellissement. À titre personnel j’ai plutôt envie de recommencer une partie. J’invite malgré tout à continuer quelques heures pour se frotter aux problématiques d’attrait, qui nécessiteront à coup sûr une révision de vos plans et le déplacement de logements (via un bouton, très simple) pour ré-agencer vos quartiers et les transformer en oeuvres d’art urbain.

Une pépite en devenir

Bref, avec son ambiance poétique et ses mécanismes convaincants, Farthest Frontier se hisse pour moi parmi les meilleurs jeux de gestion existants. Je fais l’impasse sur de nombreux concepts dans cette critique déjà bien assez longue (les décrets, les reliques, les guildes…) mais le jeu regorge de détails et de richesses qui le rendent à la fois stimulant, crédible et contemplatif. Et de facto addictif. Je compte maintenant sur Crate Entertainment pour assurer le suivi de leur jeu et corriger les quelques faiblesses énoncées. Farthest Frontier deviendrait le cas échéant et plus que jamais une référence dans le domaine, que vous soyez débutant motivé ou gestionnaire chevronné.

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