Mentionné parmi les jeux prometteurs de 2025, Kaiserpunk s’essaye au subtil mais dangereux mélange des genres avec une formule combinant citybuilder, conquête militaire et 4x. Un titre ambitieux, peut-être un peu trop, qui lors de son lancement a explosé en plein vol en raison, entre autres, de soucis techniques. Deux mois plus tard, Kaiserpunk se porte mieux. Et s’il peine à devenir le grand jeu qu’il aurait pu être, il reste un titre intéressant à bien des égards.


Une ambition débordante
Il faut dire qu’il visait la lune, ce cher Kaiserpunk. La première guerre mondiale à priori terminée, vous voilà en charge de la reconstruction de votre cité état dans un univers uchronique au charme fou. Après avoir choisi votre région de départ parmi la centaine de disponible autour du globe, défini votre politique initiale et conçu le drapeau de votre empire en devenir, vient le temps de prendre les rênes et développer votre capitale à travers un volet de citybuilding complet centré sur la logistique et les chaînes de production de ressources. Puis une fois bien établi, vient l’heure de vous lancer dans une conquête mondiale face à d’autres nations afin de gagner par la domination militaire, la diplomatie ou la recherche scientifique. Rien que ça. Alors forcément, peu aidé par son décollage raté, il finit la tête dans les étoiles. Saluons tout de même l’audace de Overseer Games, qui se lance malgré un faible budget dans une entreprise de rêve et réussit à nous proposer un jeu tout à fait correct.
Un city builder avant tout
S’il s’éparpille dans sa recherche d’identité, Kaiserpunk reste avant tout un city builder. Sous réserve d’avoir stabilisé votre région et de proposer des logements vacants, des citoyens issus de 4 classes sociales rejoindront votre ville. Cette hiérarchie, de l’ouvrier au spécialiste, prédispose vos habitants à des métiers spécifiques et définit leurs besoins, reprenant pour chaque classe supérieure les critères des précédentes en plus de nouveautés plus difficiles à concevoir. Le technicien souhaite par exemple des vêtements de luxe mais également des tenues plus simples, quand le spécialiste appréciera vins et sushis en sus de pain et de bière. Kaiserpunk se révèle exigeant sur ce point, avec près de 30 besoins à satisfaire pour la classe la plus aisée, dont une vingtaine de biens de consommation. Si ces nouvelles chaînes de production s’ouvrent au fil de la partie, Overseer Games a fait en sorte que les premières restent fondamentales jusqu’à la fin et que toutes s’imbriquent de façon simple mais convaincante. La finalité : le citoyen heureux paiera plus d’impôts, quand l’insatisfait quittera la ville non sans avoir organisé une révolte avant. Avec la centaine de ressources en jeu et à peu près autant de bâtiments ou de chaînes de production, cet aspect de Kaiserpunk s’avère riche et… sollicitant.




De façon générale, pour peu que vous aimiez réfléchir aux problématiques d’approvisionnement et d’agencement de vos chaînes de production en vue de les optimiser, construire une ville efficiente relève d’un véritable et savoureux casse-tête. J’apprécie particulièrement les 6 emplacements d’amélioration que possède chaque bâtiment, permettant de spécialiser (voire sur-spécialiser) à votre guise son fonctionnement en influant sur sa capacité de production ou ses charges d’entretien. Si je peux vous donner un conseil, planifiez du mieux possible votre développement car la ville grossit à vue d’œil pour atteindre des proportions délirantes et vous risquez de vous retrouver avec un gloubi-boulga urbain aussi bordélique qu’indigeste si vous jouez en réaction. Pour vous aider, le jeu intègre un outil de planification fort pratique qui permet de placer virtuellement les structures et d’agencer correctement vos quartiers. Puis, d’un clic, construire le bâtiment souhaité le moment venu sans devoir le repositionner. Kaiserpunk propose également une fonction visant à copier des secteurs industriels et des quartiers entiers en vue de les dupliquer ailleurs. L’un dans l’autre, cela vous aidera -peut-être- à fonder avec aisance une ville aussi fonctionnelle qu’agréable à l’oeil. Car malgré une technique perfectible, le jeu s’appuie sur une chouette direction artistique et un appréciable dynamisme urbain pour gâter nos rétines. Chaque bâtiment représente d’ailleurs à lui seul une maquette vivante, amusante à observer et qui donne beaucoup de cachet à l’ensemble.






Mais le plus impactant reste le système logistique à base de dépôts, pièces maîtresses de votre empire, à partir desquels transitent une quantité limitée de camions pour acheminer par la route les différentes marchandises des environs. Si je regrette l’impossibilité de gérer manuellement les camions et les destinations -tout est automatique- la mécanique reste stimulante et l’on se prend au jeu, à réfléchir à la meilleure disposition possible pour raccourcir les itinéraires. Détail appréciable et fort utile, les bâtiments très proches du dépôt ne nécessitent pas de camions, les ouvriers optant pour la marche ou la moto, vous permettant ainsi d’économiser des véhicules.
Enfin, les infrastructures de votre cité se déverrouillent selon votre progression dans les différentes branches de développement. En construisant par exemple des bâtiments de service public comme des écoles ou des casernes de pompiers, vous engrangez des points de recherche pour la piste en question, qui débloquera à chaque palier des bâtiments supplémentaires de ce type et de nouvelles améliorations pour les précédents. Ce système permet d’adapter votre ville à la région de départ choisie et de personnaliser votre stratégie, bien que toutes les branches demeurent importantes.




Kaiserpunk, libère toi de tes chaînes !
J’ai tout de même une poignée de reproches à faire à Kaiserpunk. Aussi stimulant soit-il, le jeu cherche à en faire beaucoup sans aller au bout de ses idées, comme s’il n’osait pas franchir un certain cap de complexité. Il préfère s’éparpiller dans moultes directions (ignorées ou survolées dans cette critique) plutôt que concentrer ses efforts dans des concepts plus profonds.
Je pense en premier lieu aux chaînes de production, nombreuses mais jamais complexes en privilégiant pour les consommables de haut niveau la multiplication de chaînes basiques (1 ou 2 ressources d’entrée pour 1 sortie) plutôt que l’intégration de recettes plus exigeantes. Cela génère à terme de la redondance et une perte de stimulation car bien que le jeu vous sollicite avec une avalanche incessante de « problèmes », la majorité se résout par la construction du bâtiment nécessaire au lieu de proposer un défi cognitif plus recherché.
Je suis davantage déçu en creusant la mécanique des dépôts, sympathique puzzle logistique en local qui disparaît au profit d’une redistribution automatique entre les différents dépôts de la ville. Il n’existe en réalité pas de stock local. Vos dépôts s’apparentent à des portes reliant votre ville à un entrepôt général invisible, qui reçoit tout et distribue le nécessaire au dépôt qui le demande. Il aurait été passionnant, et plus crédible, de devoir gérer les ressources de chaque structure et les échanges inter-dépôts avec des camions spécifiques ou des trains. En l’état, vous pouvez construire votre raffinerie à l’opposé du puits de pétrole sans réel impact, tant qu’il se trouve à proximité d’un dépôt.




Enfin, malgré l’exigence relative du titre, le jeu se permet d’étranges simplifications comme la construction instantanée des bâtiments ou l’absence d’importance dans leur placement. Faute de malus en rapport avec le bruit ou la pollution, les ultra-riches vivront sans rechigner près des usines et des raffineries. Dans le même thème, les 65 décorations (arbres, fleurs, pavés…) disponibles et coûteuses en entretien ne présentent aucune utilité autre que d’embellir votre ville pour vos propres yeux. Kaiserpunk se contente également d’une gestion simplifiée de l’eau et de l’électricité. Tant que vous produisez, il suffit de placer un générateur ou un château d’eau pour alimenter les environs, sans qu’il soit relié à une quelconque source. Enfin, il s’essaye à une forme de commerce déroutante où vous définissez la quantité des ressources à posséder et non à acheter ou à vendre, sans garantie que les contrebandiers vous en apporteront (et en quelle quantité) lors de leurs prochain voyage.
Un mot sur l’interface, perfectible mais avec de l’idée. Elle alterne entre le très bien, comme ce tableau détaillé des ressources avec filtres ou encore les raccourcis personnalisables en haut de l’écran pour suivre en temps réel les ressources souhaitées, puis le moins réussi, comme les lignes de connexions distrayantes du bâtiment sélectionné ou plus gênant, l’impossibilité de retrouver (ou rejoindre) d’un clic une structure spécifique ou de passer tous les bâtiments d’un même type en revue.
J’ai par conséquent l’impression que le jeu ne sait pas sur quel pied danser. S’il se veut difficile et relativement complexe, pourquoi ne pas enfoncer le clou pour aller concurrencer les ténors du genre ? Il reste malgré tout engageant de construire sa ville et de la décorer. Je me suis surpris à passer de longues soirées à étudier mon urbanisme et mon agencement sans but précis, pour mon simple plaisir. Pour peu que vous aimiez ça, Kaiserpunk vaut le détour.




Et puis il y a le reste
Le reste du jeu se veut plus rudimentaire. Un ersatz de grande stratégie mêlé de mécaniques sorties d’un 4x. La victoire s’atteint soit en éliminant vos adversaires par les armes (domination), soit en exerçant une influence telle qu’ils cessent d’exister (diplomatique), soit en achevant le premier toutes les pistes de développement (scientifique).
Une fenêtre diplomatique vous permet d’interagir avec vos adversaires, pour commercer, échanger des points de science, former des alliances ou déclarer des guerres. Tout aussi fonctionnelle soit-elle, elle reste au final discrète et superficielle. Et si votre alignement politique diffère vous deviendrez hostiles malgré les transactions engagées. Difficile donc d’échapper à la guerre.




Sacré volet, que celui de la guerre. Depuis la carte stratégique il vous faudra conquérir de nouvelles terres pour subvenir à vos besoins exponentiels, compenser vos gisements épuisés (et oui…), puis établir des défenses afin de les protéger de vos adversaires. Ces régions produisent une faible quantité de ressources spécifiques et autorisent l’installation de 1 à 3 structures stratégiques (avant poste de ravitaillement, base aérienne ou autres bâtiments améliorant la productivité ou la stabilité de la région) mais pas la fondation d’une nouvelle ville. C’est dommage, il aurait été captivant d’en gérer plusieurs et de personnaliser leur production, voire de commercer entre elles. Le plus intéressant consiste au final en la préparation de l’effort de guerre. Il faut en effet produire l’essentiel de l’équipement de vos troupes via des chaînes de production pour les recruter et les entretenir (armes, rations, munitions et carburant, tous spécifiques selon l’unité) puis maintenir une logistique sommaire sous peine d’affaiblir vos troupes en opération. Sans casser trois pattes à un canard le concept fonctionne et se fond avec le citybuilding mais se traîne de pénibles lourdeurs dans les déplacements d’unités (nettement améliorés avec le dernier patch) que n’aide pas la limite d’un seul bataillon par région.
Malheureusement les combats manquent d’intérêt, se contentant d’un simple rapport de force auquel on ajoute les bonus ou malus de la région attaquée et que l’on observe depuis une fenêtre de résolution qui n’a rien à envier à celle de Millennia. Le jeu intégrant près d’une centaine de régions à potentiellement capturer (moins si vous optez pour une victoire scientifique), ce qui s’apparente au début à une mécanique secondaire fastidieuse mais pas déplaisante devient à terme une corvée. L’ia se révèle d’ailleurs efficiente et agressive, une bonne chose sur le papier, seulement le jeu se transforme en course au détriment du plaisir de la gestion de ville. Certains joueurs apprécieront l’idée, mais faute de bac à sable en solitaire je préconise aux urbanistes passionnés et autres pacifistes de jouer avec les réglages de la partie et de l’ia pour atténuer la sensation de compétition et profiter plus calmement des plaisirs de la construction. La victoire scientifique demeure encore moins palpitante en raison des derniers paliers de recherche très longs à atteindre sans rien offrir d’autre qu’une poignée d’améliorations pour les derniers bâtiments. Le jeu traine en longueur de façon artificielle, au point de transformer votre ville en impressionnant et dense colosse que le moteur peine à simuler avec fluidité, probablement pour équilibrer le temps nécessaire entre les différentes conditions de victoire. Je crois en réalité que le jeu serait beaucoup plus plaisant sans un tel volet stratégique, avec un mode libre en solitaire et des défis axés gestion. Il intègre d’ailleurs une centaine de terrains de jeu, une personnalisation intéressante de la partie et des évènements aléatoires qui agrémentent les parties. Yapluka ?






État du jeu et patches à venir
Kaiserpunk est sorti dans un état technique décevant à la fois en terme de performances, de stabilité et d’interface. À l’heure où j’écris ces lignes, le jeu a fait un sacré bon en avant grâce à deux belles mises à jour mais il subsiste des problèmes de performances une fois la partie bien entamée ainsi que les soucis de confort évoqués plus haut. Overseer Games entend bien les corriger et reste en parallèle à l’écoute de la communauté pour étoffer son jeu. Affaire à suivre.


Pas le titre espéré, mais quand même un bon jeu
Avec une partie citybuilding qui gagnerait à être approfondie ainsi qu’un volet stratégique trop rudimentaire pour être appréciable sur la durée, l’ambitieux Kaiserpunk laisse un arrière-goût d’inachevé. Pourtant, si on le prend pour ce qu’il est et non ce qu’il aurait pu être, il reste un jeu de gestion robuste, un peu bancal mais généreux, sur lequel vous pourrez mettre à profit durant des dizaines d’heures vos talents d’urbaniste et de magnat de l’industrie dans un univers chouette et plein de vie.
Page steam de Kaiserpunk | Tarif : 29.99€ | Un jeu présent dans ma liste des titres à surveiller en 2025.



