Connue pour ses épisodes tactiques, la série Field of Glory se décline également en jeux de grande stratégie développés par le studio AGEOD. Alternative de Slitherine aux classiques de Paradox, elle s’en démarque par l’utilisation du tour par tour simultané (WeGo) au lieu du déroulement en temps réel. Le premier volet, Empires, couvrait la période antique de -310 au deuxième siècle, retraçant l’apogée puis le déclin de l’empire Romain. Pour le second épisode, Kingdoms, nous partons cette fois en 1054, prêts à rebâtir un monde secoué par le Grand Schisme.

Un voyage médiéval, de l’Angleterre à la Turquie

On peut définir l’échelle « grande stratégie » par une approche globale de la situation, englobant des aspects économiques et militaires mais aussi diplomatiques et politiques. Ces jeux à spectre large se révèlent complexes et intimidants, bien qu’en général, passé les premières heures à apprivoiser les différentes fenêtres de l’interface, ces titres restent mécaniquement parlant abordables voire, pour FoG Kingdoms, intuitifs. Leur profondeur de jeu vient avant tout de cet engrenage colossal qui tourne en arrière-plan, traitant les milliers de valeurs insignifiantes sur lesquelles on agit pour construire un ensemble impressionnant de complexité.

Grande stratégie oblige, Field Of Glory Kingdoms vous place à la tête d’une nation au choix. Votre objectif : amasser de l’autorité, symbole de votre puissance, mais surtout de l’héritage, fruit de vos exploits. Par la conquête militaire, cela va de soi, mais également en faisant prospérer vos régions ou en écrasant le monde par votre culture forte ou votre religion. Vous pouvez subir un effondrement en fin de partie, si vous êtes la nation qui laisse le plus sa trace dans l’histoire, vous avez gagné. Une mécanique intéressante, bien que revêtant parfois des airs de course aux points, qui relègue au second plan la traditionnelle domination militaire. Toujours possible, cette dernière nécessite un sacré talent en raisons des mécanismes d’instabilité qui frappent les empires trop gourmands. Nul besoin donc de jouer un empire majeur et belliqueux, un royaume de seconde classe a toutes ses chances pour briller.

Au programme de ce festin, si l’on omet le léger tutorial en guise d’apéritif, trois scénarios de taille variable et la grande campagne vous attendent :

  • El Cid (1087 – 1097). 38 tours pour revisiter la reconquista espagnole, côté chrétien, musulman ou en tant que El Cid, mercenaire opportuniste.
  • Manzikert (1059 – 1079). Un triangle belliqueux entre Byzantins, Seldjoukides et Fatimides d’une durée de 40 tours.
  • Chute des Angevins (1194 – 1223). Un conflit franco-anglais sur 58 tours dans lequel on peut jouer les basques. Forcément le meilleur scénario tous jeux confondus.
  • La grande campagne (1054 à 1274) s’étendant en Europe et autour du bassin méditerranéen. 440 tours de pur plaisir stratégique. Un véritable marathon, entaché cependant par une résolution des tours un peu longue. Les plus motivés apprécieront son mode multi asynchrone à 16 joueurs.

Faute d’option entre les courts scénarios et l’épreuve d’endurance que représente la campagne, il est possible de continuer à jouer librement au delà du temps imparti, par exemple pour réaliser vos ambitions personnelles. Un mode bac à sable aurait cependant été appréciable, bien que cela doit nécessiter une charge de travail insoupçonnée.

S’il y a bien un domaine dans lequel excelle FoG Kingdoms, c’est dans sa richesse historique. Ce jeu est une véritable encyclopédie. Vous y croiserez 450 factions (dont un tiers jouable), accompagnées de leur histoire, leurs personnages et leurs objectifs. Une statistique délirante, qui rejoint les 400 unités et les 600 bâtiments présents. Des indicateurs fiables quant à l’échelle gargantuesque du titre.

Diriger, ce n’est pas pour tout le monde

Avant d’entrer dans les détails, et si Field of Glory Kingdoms se révèle intuitif sur de nombreux aspects, le jeu présente une complexité que le tutorial peine selon moi à expliquer. Le plus gênant concerne le manque de clarté quant aux moyens d’arriver à nos fins. À titre d’exemple, le jeu signale en début de partie qu’un noble pêche par sa loyauté envers vous et qu’il risque de préparer un coup d’état. Oui, et donc ? Quelles sont mes options ? Malgré l’épais manuel ou les fenêtres d’aides en jeu, certains concepts s’intègrent souris en main, en pratiquant. Même constat quand on souhaite disséquer une valeur, comme les revenus, l’autorité ou l’héritage, afin de l’améliorer. On connaît le résultat et les différentes valeurs qui le composent, mais pas leur détail. Je prédis l’agacement de nombreux joueurs, démunis face à ces grandes fenêtres qui mériteraient des infobulles en cascade.

Enfin, FoG Kingdoms est un jeu au rythme lent, à la boucle de jeu redondante, le tout fortement imprégné d’histoire et de hasard. Sa formule ne conviendra pas à tous les stratèges et nécessite une bonne dizaine d’heures pour y prendre goût, être à l’aise et arrêter de tâtonner. Puis bien davantage pour gagner face à cette ia compétente, mais ça, c’est une bonne chose. À l’heure où j’écris ces lignes, ma première victoire se fait désirer !

Une affaire d’hommes, à satisfaire ou diriger d’une main de fer

En concordance avec sa véracité historique, Field of Glory Kingdoms place un homme à la tête de votre royaume. Le véritable roi de l’époque, avec son âge, sa santé et ses traits de caractère influant sur la gestion de votre empire. À ses côtés, une épouse, des héritiers, ainsi qu’une cour à la loyauté variable. Si tout ceci donne vie à l’ensemble et impacte votre royaume, je regrette le faible degré d’interaction que ce volet propose. Sans concurrencer un Crusader Kings, j’aurai apprécié un système similaire à Old World, limité mais organique et engageant. Ici, l’essentiel consiste à placer un membre de la cour à la tête de vos provinces, le surveiller ou user sur lui de stratagèmes reçus aléatoirement. Il est dommage de ne pas pouvoir engager la discussion avec cette personne qui ne nous aime pas, ou d’interagir avec elle. Ou de l’assassiner tiens. Bien que le jeu nous abreuve de contenu, je reste ici sur ma faim.

Votre façon de gouverner impacte la loyauté de vos sujets. D’une part les nobles, capables de préparer un coup d’état et donc à surveiller comme le lait sur le feu. D’autre part, chacune de vos provinces présente des risques de baisse de productivité ou d’apparition de dissidents en cas d’insatisfactions. Ah, ces gueux, manquerait plus qu’ils se rebellent…

Nouveau concept majeur, l’autorité représente votre puissance et votre capacité à régner sur votre royaume. C’est également une ressource utilisée pour des actions exceptionnelles, comme la construction du bâtiment de votre choix ou la prise de « décisions régionales », boîte à outil royale un peu fourre-tout. À chaque tour, votre boîte à décisions recevra l’une des cinquante actions du jeu, allant de la marche forcée à l’assassinat d’un roi ennemi en passant par la punition de trouble-fêtes. Vous pouvez en stocker une quinzaine, à utiliser au moment opportun, ou les revendre. J’ai découvert sur le tard que nous pouvons régler la fréquence d’apparition des décisions rencontrées, afin d’augmenter nos chances d’obtenir des propositions réellement intéressantes. Abusez de cette fonction, elle joue un rôle crucial. Enfin, l’autorité prévient sensiblement le potentiel effet boule de neige d’un adversaire trop fort. En s’étendant trop vite par rapport à son statut, ce dernier verra l’évolution de son autorité freiner, voire carrément baisser, se trouvant de facto privé des fameuses décisions nationales.

Un gestionnaire à plein temps…

Votre royaume se divise en régions et provinces, à développer à travers six axes :

  • L’agriculture, source principale de nourriture, matières premières animales et végétales, et vecteur de croissance de votre population.
  • L’infrastructure, utilisée pour la construction de bâtiments, la production de matériaux ou l’évolution de votre système de santé.
  • Les commerces et ateliers, amassant argent et marchandises.
  • Le militaire, améliorant entre autres les fortifications locales et les capacités de production d’unités.
  • La piété, pour satisfaire les besoins en foi de vos fidèles.
  • L’intendance, dont le but essentiel reste le maintien de l’ordre.

La piété et l’intendance jouent un rôle dans la production d’autorité, de fidélité et d’héritage. Aux premiers abords secondaires, impossible de les délaisser !

Pour ce faire, il est nécessaire de construire des bâtiments propres à chaque catégorie. Si l’on cherche au début à maintenir un semblant d’équilibre et éviter tout déficit dans chacune de nos régions, les spécialiser reste possible, sinon conseillé. Pour chaque nouveau projet, le jeu propose aléatoirement 6 choix, soit un bâtiment par secteur d’activité. Cette mécanique pousse à une stratégie d’adaptation, bien qu’elle donne par moment l’impression de naviguer à l’aveugle. Vous pouvez sinon dépenser votre précieuse autorité pour forcer la construction d’un édifice précis et réduire votre dépendance à l’aléa. Attention, une région ne peut accueillir indéfiniment de nouveaux bâtiments, sa limite est indexée à sa population.

Vous affecterez ensuite vos travailleurs dans ces différents domaines pour affiner en temps réel votre production. Peut-être souhaitez-vous préparer des réserves de nourriture ou faire croitre rapidement votre population, auquel cas vous concentrerez votre main d’œuvre dans l’agriculture. Pour accélérer la construction d’un bâtiment, attribuez davantage de travailleurs à l’infrastructure. Votre population se divise toutefois en quatre classes sociales bridant vos possibilités. Ne pensez pas faire d’un paysan un talentueux vendeur, ou envoyer un noble dans les champs.

Ce double jeu d’équilibriste, à savoir le choix des structures construites et la répartition de vos travailleurs, représente le pan principal de Field of Glory Kingdoms. Il est primordial d’aimer manipuler les chiffres et tenir des comptes d’apothicaire pour passer un agréable moment. D’autant plus que cet aspect du jeu s’avère austère, avec des bâtiments représentés par une simple icône, à la limite du simple concept. On n’achète pas une ferme, mais un bonus de nourriture. Le conteur d’histoire nous intéresse pour le +2 d’or qu’il génère dans la région. On agit sur la province sans attachement, de façon mathématique. Lors d’une construction, notre œil se porte essentiellement sur les modificateurs, sur les +1, les -2, sans trop s’attarder sur l’enrobage. Aucunement un reproche, à vrai dire c’est même crédible au vu de notre position de roi, mais il faut être à l’aise avec cette sensation d’éloignement, parfois plus proche d’un rôle de comptable que de monarque. Cela devient en revanche gênant quand on construit un bâtiment simplement car il augmente l’héritage, comme si l’on participait à une course aux points et non au développement de notre royaume. Cette sensation se dissipe lorsque l’on joue avec nos propres objectifs, à la façon d’un bac à sable “roleplay”, plutôt que pour la gagne. Et c’est peut-être la meilleure façon de profiter de ce jeu.

Un aparté sur le commerce, pilier de votre économie mais géré de façon automatique. Si une région ou un bâtiment nécessite une matière première indisponible, le jeu se charge, si c’est possible et de façon transparente, de créer une route commerciale. Ce volet reste important à surveiller, notamment pour choisir vos futures productions régionales ou vos prochaines conquêtes. Capturer les terres d’où proviennent ces ressources, un excellent moyen de réduire vos dépenses à long terme ! À condition de maîtriser les rouages de la diplomatie et du maniement d’armes.

… même quand les affaires étrangères sentent le brûlé

Au-delà du commerce, la relation avec vos pairs se gère depuis un volet diplomatique simple, dont la profondeur viendra de la façon dont il sera utilisé. Envoi de cadeaux, droits de passage, coopérations ou alliances, rien de révolutionnaire ici mais l’ensemble est maîtrisé. Mention spéciale à l’outil de négociation, calibré pour éviter les demandes délirantes mais permettant de discuter avec générosité. Comment refuser une demande de paix accompagnée de matières premières et de combattants en guise de cadeaux ?

Malheureusement, peu de chances que votre royaume vive dans une paix éternelle et il sera nécessaire à un moment donné de développer votre armée. Field of Glory Kingdoms propose un système intéressant, centré sur les contraintes logistiques que représente la levée de troupes. Après vous être assuré d’avoir assez d’effectifs, d’argent et de matériel à disposition, vous recruterez vos premiers soldats, que vous combinerez en autant de groupes que souhaité. Mais attention, les prérequis pour l’achat d’une unité ne sont que la première douloureuse, puisque le gros de vos dépenses reste l’entretien. Nourriture, argent, effectifs, matériaux, vos soldats représentent un véritable gouffre économique. Pire encore lors d’une guerre où vous devrez assurer la logistique jusqu’à leurs positions, sous peine de voir vos effectifs s’affaiblir puis s’effacer. Combien de fois mes troupes se sont amenuisées lors d’un siège dont j’étais l’initiateur ! La guerre devient de facto un pan à gérer en permanence, même en temps de paix où l’option de dissoudre un groupe apparaît comme une bénédiction.  On retrouve une nouvelle fois cette tenue de compte précise, cette recherche d’équilibre, qui fait l’intérêt du jeu.

L’heure du casus belli

À la façon d’un wargame ou d’un 4x, vos armées se déplacent sur la carte stratégique, limitées par leur portée de déplacement et les types de terrains traversés. Ici réside l’intérêt principal du tour par tour simultané. Toutes les unités se déplacent en même temps, créant à la fois un dynamisme intéressant et des possibilités stratégiques. Réussirez-vous à anticiper les mouvements de vos ennemis ? Sous couvert d’un discret brouillard de guerre, des unités apparaissent quand d’autres disparaissent, nous valant au passage de belles surprises.

Le système de combat se révèle également simple. Automatisé, il compare la puissance des armées, leur composition, leur état (je vulgarise), puis tient compte du terrain et d’une poignée de modificateurs pour donner un vainqueur et sélectionner les pertes. Comme FoG Empires avec FoG 2, Field of Glory Kingdoms propose de jouer vous-même vos batailles (à ce jour les batailles ouvertes seulement, les assauts de châteaux et les batailles navales ne sont pas disponibles) si vous possédez FoG2 Medieval. N’aimant pas ce système tactique, je me contente de la résolution automatique parfaitement fonctionnelle, mais l’option a le mérite d’exister et ravira les passionnés ou ceux qui préfèrent avoir un contrôle total. Et bien que cela rallonge considérablement vos parties, c’est une façon d’endosser votre cape de commandant et de quitter le temps d’une bataille celui de gestionnaire.

Tolérance zéro pour les hérétiques !

Majoritairement gouvernée par le domaine de Piété qui lui est dédié, la religion impacte vos relations avec le peuple et les autres royaumes. Nous nous situons juste après le Grand Schisme de 1054 et la tension entre états de religions ou confessions différentes est palpable, jusqu’à éclipser la diplomatie en cas de profond désaccord. Attaquer ces derniers s’avère plus facile et moins risqué qu’avec nos frères de religion, et après une capture de région il peut être nécessaire de convertir le peuple pour éviter une formation d’hérétiques. Enfin, cas de force majeure, les croisades et djihad sont de la partie, embrigadant vos alliés et vassaux pour une joyeuse sauterie. Le jeu totalise 14 religions, branches comprises.

Heureux comme un roi (comptable)

Difficile de ne pas reconnaître les nombreuses qualités dont fait preuve Field of Glory Kingdoms. Le résultat respire la passion des développeurs pour l’histoire et le jeu de stratégie, autour d’une formule maîtrisée de bout en bout. Le jeu nous abreuve de connaissances et nous plonge dans une expérience stratégique dense, contrôlée via une interface et des mécanismes simples à appréhender, bien que perfectibles. Il faut cependant du temps pour comprendre FoG Kingdoms. Du temps aussi pour se faire à l’idée qu’être roi, pour AGEOD, c’est avant tout un métier d’expert-comptable. En ce sens, le jeu décevra une partie des joueurs et mériterait de développer des pans moins mathématiques, comme l’interaction avec les personnages ou la construction “visuelle” de notre empire. Cela aiderait à nous immerger dans notre royaume plutôt qu’à rester le nez sur les nombres, et à casser la monotonie ambiante des calculs, que seul FoG2 Medieval, vendu séparément, permet réellement.

Intéressé par Field of Glory : Kingdoms ? La page steam du jeu. Alors que l’année 2024 progresse, je coche une case supplémentaire de ma liste des essentiels, dont FoG : Kingdoms faisait partie.

3 Comments

  1. Super ton article Maxime. C’est fouillé et costaud. J’ai rejoins une communauté francophone sur Discord et ils me proposent de jouer à Kingdoms. Grâce à ton article j’ai une bonne idée du jeu 🙂

    1. Salut Tony,

      Je te conseille avant de te lancer dans un long match en multi de passer une bonne dizaine d’heures dessus, sinon le double. Le jeu est plutôt complexe, tu risques de te pourrir la partie dès les premiers tours à cause de petits détails négligés.

      Et bon jeu bien sûr ! 🙂

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