Par-delà les frontières de la stratégie subsiste un genre de niche : le puzzle à solutions multiples. Jusqu’à présent dominé par le talentueux Zachtronics, aujourd’hui à l’arrêt, ce genre qui fait la part belle à l’analyse, la réflexion et la créativité continue d’évoluer sans son maître. S’il se présente en général sous la forme de jeux de programmation ou d’ingénierie, il explore des thèmes variés comme l’industrie, la chimie, l’alchimie et maintenant l’informatique quantique. Je vous propose, une fois n’est pas coutume, d’effectuer un léger hors-piste afin de découvrir le petit dernier de cette étrange et fabuleuse famille : Quantum Odyssey.
Immersion dans le quantique
Quantum Odyssey transporte le joueur dans le monde merveilleux de l’informatique quantique. Une technologie à la complexité renversante, révolutionnaire et bien plus rapide que l’informatique traditionnelle. Un endroit où les bits, représentés par 0 ou 1, laissent place aux qubits qui peuvent exister simultanément dans une superposition de 0 et de 1. En réalité, Quantum Odyssey est un simulateur. Son but : vous apprendre de façon ludique le fonctionnement de cette technologie via une représentation visuelle plutôt que mathématique.
Fonctionnement de Quantum Odyssey
Le principe de Quantum Odyssey tourne autour d’une interface simple appelée la Forge. Elle se compose de colonnes et de “fils verticaux” correspondant aux différents états des qubits (ex : 00, 01, 10, 11…) par lesquels transite une information (ici une boule). Le but : placer des modules, les portes quantiques, pour tordre les fils et transformer l’information d’entrée afin de la faire concorder avec le résultat souhaité. Je vous passe les détails, la finalité étant de déplacer, diviser, fusionner et changer de taille ou de couleur la boule en positionnant les bons modules au bon endroit. De cette mécanique d’une extrême simplicité se présente un défi cognitif délirant de complexité. Et alors que je ramasse mon cerveau à la petite cuillère, malmené durant ces longues heures d’apprentissage, que dire si ce n’est que Quantum Odyssey se révèle terriblement addictif…
Lourd et léger à la fois
Car il est coquin, ce Quantum Odyssey. Il ne vous demande qu’à comprendre une petite dizaine de modules. Une petite dizaine de règles toutes simples. Sauf que ces règles interagissent entre elles et peuvent générer une infinité de résultats. Et alors que vous croyez comprendre les leçons, passé les puzzles d’introduction le jeu prend une toute autre dimension. Quantum Odyssey est un jeu difficile. Difficile mais hypnotisant, avec un étrange goût de reviens-y. On malmène cette pauvre boule qui saura vous rendre la pareille en tournant autour du résultat escompté sans jamais devenir identique. Malgré la frustration, on persiste pourtant jusqu’à trouver une solution, qu’elle soit optimale ou non. Et on y arrive !
Quantum Odyssey se veut également audacieux. Il vise en effet à former jusqu’à l’expertise le joueur à l’informatique quantique, sans prérequis en maths ou en physique. C’est d’ailleurs son principal objectif, utilisant le jeu comme simple vecteur. En ma qualité de passionné par les sciences mais abandonné par ces deux matières peu avant mon passage au lycée, je ressemble au parfait candidat. Alors, ce pari de Quarks Interactive, réussi ou non ?
Et bien pas tout à fait… Si l’enrobage visuel participe à une bonne compréhension générale, dès que le jeu entre dans le vif du sujet le néophyte se sent submergé. Il faut comprendre les lois de la superposition, celles de l’intrication, les synergies entre les portes et surtout, bien cerner les interactions entre les qubits (des groupes de colonnes) pour affecter ceux souhaités sans impacter les autres. Ce n’est pas toujours facile avec 2 colonnes, je vous laisse imaginer avec 20. Malheureusement, les leçons très littérales rendent la compréhension difficile pour un esprit non scientifique. Oubliez également l’encyclopédie intégrée, elle est terrifiante et gagne en clarté seulement avec de la pratique. Heureusement, l’accès anticipé commence à peine et le développeur, conscient de la problématique, travaille sur un moyen de lisser l’apprentissage. Pendant ce temps, vous pouvez vous aider des tutoriels interactifs de la communauté, plus doux, et sur la méthode naturelle de l’essai-erreur.
On évolue donc pas à pas, illuminé par les quelques moments Eurêka qui ornent notre chemin vers le savoir. Puis on bloque, faute d’avoir réellement compris. Puis on progresse. Ainsi de suite, avec de temps en temps la sensation d’avoir résolu un mystère de l’univers. Étrangement, on continue malgré l’adversité. C’est peut-être mon côté masochiste qui parle mais je trouve le jeu fascinant. Il brise mon égo et m’absorbe à la fois. Quand je le lance il m’obsède. Je me surprends à fixer, parfois jusqu’à une heure sur un même puzzle, cette fichue boule se rebeller pour simplement comprendre ce qui se passe. Puis je me demande : quel public Quantum Odyssey vise t-il vraiment ? En dehors de personnes déjà initiées au sujet, qui aura la patience d’aller jusqu’au bout ? D’ailleurs, vais-je y arriver ?
Un contenu qui tend à croître
À l’heure où j’écris ces lignes, le jeu propose une campagne scénarisée (façon de parler) et non linéaire de plusieurs dizaines d’heures. Les modules -des ensembles de puzzles- forment une constellation depuis laquelle vous pouvez évoluer dans différents directions afin de limiter les risques de blocage. Quatre sages vous accompagnent dans cette quête, à la fois pour vous expliquer les rudiments de l’informatique quantique mais aussi pour creuser le sujet sur les plans pratiques et philosophiques. Me trouvant dans une impasse intellectuelle que j’espère de tout cœur outrepasser, je n’en ai pour le moment pas vu le bout.
Le jeu intègre également une arène, liée à un éditeur de niveaux, depuis laquelle les joueurs s’affrontent sur les créations de la communauté. Une sorte d’e-sport quantique à base de score et d’optimisation, où l’intérêt reste de faire évoluer le savoir commun. On retrouve une fois de plus le souhait de rendre Quantum Odyssey utile et pas seulement divertissant. C’est d’ailleurs ici que se trouvent les tutoriels énoncés plus haut et je m’attends à ce que d’autres sortent dans les prochaines semaines pour accueillir les nouveaux joueurs. Pour peu que vous accrochiez au principe, entre la campagne et l’arène vous n’aurez aucun mal à rentabiliser votre achat.
Il nous met dans tous nos états…
Malgré l’évidente complexité de son sujet, Quantum Odyssey se révèle passionnant. Un cours d’école sup’ sous couvert de jeu vidéo, aussi hypnotisant que frustrant et attractif comme un aimant. Je rêve de boules bleues et de qubits, je respire les portes de Hadamard et de Pauli… je vis quantique alors que deux semaines auparavant je ne connaissais rien de tout ça. Enfin… je n’en connais pas beaucoup plus aujourd’hui car le sujet s’avère costaud et nécessite un réel investissement de la part du joueur. En effet, malgré une simulation et une interface réussies, le jeu peine à expliquer aux non scientifiques les concepts clés au risque de les perdre en cours de route. Si Quantum Odyssey vise à devenir limpide aux yeux du grand public, il reste à ce jour réservé à une population scientifique ou à minima curieuse et (très) déterminée. Des critères habituels pour cette niche du jeu vidéo mais qui me paraissent ici d’autant plus importants. Une belle surprise pour moi, mais peut-être pas pour grand monde.
Intéressé par Quantum Odyssey ? La page Steam du jeu.