Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, l’Empire s’effondrait. Et alors que la désolation s’étendait dans les confins, de nombreux mouvements émergeaient pourtant, menés par d’ambitieux chefs prêts à tout pour accéder au pouvoir. C’était mon cas, dirigeant la galaxie tel un véritable chef d’orchestre, avant de vouloir mettre un terme à la crise avec un joli feu d’artifice. Armé de mon impressionnante flotte composée de 6 corvettes, j’ai en effet lancé un assaut ambitieux sur les forces de mon pitoyable rival afin d’étouffer tout mouvement de résistance. Et le feu d’artifice se retourna contre moi… Très chouette ce Arcs ! Mais alors, qu’est-ce qu’il est clivant. Ah, il mettra aussi à mal quelques unes de vos amitiés. Mais si c’est le prix à payer…

Arcs : un space opera stratégique sous l’apparence d’un jeu de plis
Avec sa dernière création, Cole Wehrle (Root, Pax Pamir, Oath…) nous sert une fois de plus une formule aussi originale que bien léchée. Une formule dirigée vers les étoiles, pour un voyage dans un univers Sci-Fi loufoque et coloré tout droit sorti de l’imaginaire de Kyle Ferrin, illustrateur de Root. Cette fois, les joueurs endossent le rôle d’illustres personnages cherchant à amasser un maximum de points de pouvoir en usant d’une mécanique aussi vieille que le jeu de cartes, ici revisitée. À travers une histoire en 5 chapitres, ils veilleront à utiliser leur main de cartes de la façon la plus maline possible pour se développer, contrôler l’espace de jeu, déclarer moultes ambitions -sources de points de victoire- et bluffer leurs adversaires pour prendre le dessus.
Dans Arcs, les chapitres se déroulent ainsi :
- Chaque joueur reçoit 5 cartes issues d’un deck commun de 28 cartes (de 4 couleurs, numérotées de 1 à 7).
- Le joueur avec l’initiative, appelé le meneur, joue la carte de son choix pour effectuer des actions et, s’il le souhaite, déclarer une ambition (je reviendrai ultérieurement sur ces deux points).
- Les autres joueurs jouent ensuite à tour de rôle une carte pour surpasser, pivoter ou copier, trois styles d’actions dépendant de la couleur et du numéro de la carte jouée (je reviendrai aussi la dessus plus bas). Ils peuvent de plus dépenser une carte pour prendre l’initiative le tour suivant.
On répète ce bref schéma jusqu’à ce que tous les joueurs passent leur tour faute de cartes en main. Le chapitre touche à sa fin et l’on attribue les points de victoire aux joueurs qui ont dominé les ambitions déclarées. Cette boucle de jeu simplissime reprend avec les chapitres suivants jusqu’à ce qu’un joueur atteigne le seuil de points déclenchant la victoire ou que le cinquième chapitre se termine. Une particularité cependant : les ambitions octroient davantage de PV à chaque nouveau chapitre. L’enjeu de ces derniers croît donc avec le temps et, sauf partie serrée, vous terminerez la partie avant le cinquième.
Anatomie d’une carte
Mesdames et Messieurs, voici vos armes ! Et elles recèlent une quantité insoupçonnable d’informations :
- En haut à gauche, 1 à 4 étoiles qui correspondent au nombre d’actions possibles pour vous, ainsi qu’un chiffre entre 1 et 7 inversement corrélé au nombre d’actions.
- Une couleur qui détermine la famille et les actions possibles (également écrites)
- En bas à gauche, le logo de l’ambition que le meneur peut déclarer. Attention, en déclarant une ambition la valeur de votre carte passe à zéro. Cela ne change rien pour vous mais vos adversaires peuvent plus facilement surpasser (le type d’action le plus efficient).
Vous la voyez venir, cette profondeur de jeu qui se pointe ?


Les actions du meneur… et des autres
Le meneur peut donc, si sa main le permet, effectuer toutes les actions du jeu :
- Construire une ville, un spatioport ou un vaisseau de combat
- Réparer ces mêmes entités
- Déplacer les vaisseaux d’une zone
- Attaquer un adversaire, vaisseaux comme structures. Là, on touche aux amitiés.
- Taxer des villes afin d’obtenir la ressource des secteurs visés. Même celles de nos “amis” afin de prendre au passage un agent en otage.
- Influencer des cartes de la rivière en y posant des agents
- Sécuriser une carte sur laquelle on possède une majorité d’agents. Vous prenez la carte (qui octroie des bonus) et capturez tous les agents ennemis posés dessus. Là, c’est de l’altération de vos relations amicales avec préméditation.
Les suiveurs en revanche, se verront plus contraints. Si vous posez une carte de la même couleur mais de plus grande valeur, vous surpassez votre adversaire. Jargon mis de côté, vous agissez comme le meneur et effectuez autant d’actions qu’indiqué sur votre carte. Vous pouvez sinon pivoter, c’est à dire jouer n’importe quelle carte d’une autre couleur pour effectuer une seule action autorisée par ladite couleur. Enfin, vous pouvez poser une carte face cachée pour effectuer une action de la carte meneur (copier). De ce postulat découlent plusieurs réflexions. Vaut-il mieux “gaspiller” une carte à forte valeur d’actions pour un simple pivot, la garder en espérant surpasser plus tard, ou défausser une autre carte pour prendre l’initiative et la jouer à pleine puissance ? Quelles actions je souhaite d’ailleurs effectuer ce chapitre, quelles actions me seront réellement utiles au vu de la situation en permanence chamboulée ? Et que puis-je faire avec ma main ? Je voulais absolument une bonne carte attaque mais je n’en ai pas, quelle poisse !
Malgré la présence évidente de hasard, le jeu permet toujours d’agir, même si votre solution ne semble pas optimale. Et si vous n’échapperez pas à l’assaut de lourds biais cognitifs qui vous laisseront croire que votre main ne vaut rien, le constat reste sans appel : le vainqueur est celui qui aura le mieux joué, pas le plus chanceux au tirage des cartes. Comme tout bon jeu tactique, regardez au-delà de votre plan initial et cherchez des opportunités ailleurs. Il y en a toujours.



Les ambitions ou la nécessité d’avoir plusieurs cordes à son Arcs
Dans Arcs, les ambitions sont la seule source de points de victoire. Au nombre de 5, elles déterminent, une fois déclarées, les objectifs pour tous les joueurs pour le chapitre en question. À savoir, posséder le plus :
- De ressources fuel et matériaux
- De trophées de guerre (vaisseaux et structures détruits)
- D’agents capturés
- De reliques (une ressource)
- De jetons psioniques, ressource également
Les meneurs en déclarent jusqu’à 3 par chapitre, décidant de diversifier les enjeux ou au contraire de surenchérir sur une même ambition pour tenter un gros coup. S’ils ont donc l’avantage de les choisir, ils portent aussi une lourde responsabilité. Je ne compte plus les fois où un meneur confiant se lance dans un grand projet pour au final se faire couper l’herbe sous le pied par un autre joueur qui s’était préparé en amont (raflant au passage la victoire).
Car oui, si Arcs tourne autour de la tactique et de la réflexion à court terme, le jeu encourage aussi à penser aux chapitres ultérieurs. Les possessions, captures et autres destructions peuvent très bien se cumuler lors des chapitres précédents. Attention cependant, les trophées et les agents capturés retournent en jeu une fois l’ambition inhérente terminée. Les ressources en revanche, elles restent sur votre plateau jusqu’à leur dépense ou… leur vol.
Empire sur le déclin = ressources rares
La crise frappe les confins, comme en atteste la faible quantité de ressources en jeu. Les joueurs se battent pour seulement 5 unités de chaque type, un nombre très restreint qui invite à les dépenser avec parcimonie. Vous pouvez en effet les dépenser avant de jouer votre carte afin de réaliser une action gratuite dépendant de la ressource consommée. Mais peut-être préférez-vous les conserver dans un coffre fort aux multiples blindages -votre plateau individuel, afin de viser des ambitions ou priver vos adversaires de ces dernières. Il ne faudra cependant pas vous étonner si une armada se pointe aux portes de votre cité.


Et là, c’est le drame
La guerre dans Arcs est totalement optionnelle. Tant mieux car elle représente une arme à double tranchant au caractère punitif bien affirmé. Attaquez vos adversaires pour obtenir des trophées, pour libérer des emplacements de cité dans les régions qui vous intéressent ou pour piller vos adversaires. Mais tout cela à vos risques et périls. Soupesez bien les conséquences de vos actions car elles peuvent aussi bien payer que vous mettre à terre ! La raison : une grande partie du résultat dépendra du hasard. Cole Wehrle nous propose ici un système de combat déroutant et proche des jeux de type Ameritrash. Seul l’attaquant lance les dés, à hauteur de 1 dé par vaisseau engagé dans la bataille. Envoyez 10 vaisseaux, jetez 10 dés. Simple et basique, bien qu’en général on se contente de 5 ou 6 pour ne pas laisser des secteurs sans défense. Vous pouvez choisir pour chaque vaisseau le type de dé lancé parmi 3. Le dé d’escarmouche, le plus sûr, a 50% de chances de toucher et autant de rater, mais sans recevoir de dégâts. Le dé d’assaut occasionnera plus de dommages mais avec la contrepartie d’en recevoir aussi (voire d’en recevoir sans en infliger, ma spéciale). Quant au dé de raid, il se révèle très risqué mais permet de voler des ressources au joueur cible. À hauts risques, hautes récompenses ! On aime ou on n’aime pas ce système très clivant. Et par chez nous, et bien on n’aime pas.
Peut-être que nous devons nous habituer et mieux jouer, mais pour avoir testé avec près d’une dizaine de joueurs différents, le ressenti est le même : il est bien trop dangereux d’attaquer. C’est bien évidemment voulu par M. Wehrle et l’on comprend après quelques parties l’équilibre en place mais les joueurs doivent composer avec une part importante de hasard s’ils se lancent dans une campagne militaire. Une part un peu trop importante selon moi. Une part brutale en adéquation avec le reste du jeu, décidé à ne jamais vous laisser seul, tranquille, dans votre zone de confort. Si l’instabilité vous débecte, Arcs n’est probablement pas fait pour vous. Ce n’est pas grave, d’autres titres plus déterministes -ou moins rock’n’roll- vous conviendront mieux. Vous savez quoi ? Malgré mon aversion pour ce système de combat je m’éclate sur Arcs. Même si mes adversaires se réjouissent lorsque je montre les crocs. Ma réputation de fin tireur contre mon camp me colle dorénavant bien trop à la peau…


Joutes savoureuses autour de la table
Il faut dire que chaque partie nous transporte et nous surprend. On négocie autour de la table, on s’allie, on bluffe, on se chamaille, tous avec l’idée de mieux planter son prochain et au meilleur moment. Mais tous avec l’idée, également, que les autres chercheront à faire de même. Et c’est là la magie de Arcs : un système en soi accessible pour un résultat autour de la table plus profond qu’il n’y paraît. Arcs est un jeu pour experts plus abordable que la moyenne mais tout aussi riche sur le plan stratégique. Je survole comme à mon habitude les petits détails qui enrichissent l’expérience avec subtilité, prévoyez une ou deux parties pour les saisir. Organisez des outrages pour vider les caisses de vos adversaires ou pour brider le reste de la partie. Catapultez vos vaisseaux à l’autre bout de la carte grâce aux spatioports, usez de vos précieuses ressources pour un enchaînement d’actions dévastateur… Pour finir, Cole Wehrle oblige, Arcs intègre une asymétrie légère et optionnelle que je conseille. Les joueurs commenceront ainsi avec des bonus et malus qui leurs sont propres et une configuration de départ différente. Par exemple, le Rebelle attaque avec 2 dés supplémentaires mais peut déplacer seulement 2 vaisseaux à la fois. Les parties prennent une autre saveur et accueillent de nouvelles mécaniques (comme placer des péages) pour une augmentation négligeable de complexité.
Une dernière remarque. Comme de nombreux jeux à haute interaction, Arcs nécessite un certain état d’esprit de la part des joueurs. Il est facile de pourrir la partie d’une personne en s’acharnant dessus seul ou à plusieurs, tout comme un ami mauvais perdant se sachant en difficulté peut entraîner le joueur de son choix dans le gouffre et ruiner la séance pour tout le monde. Choisissez bien avec qui vous vous lancez dans l’aventure.
Bref. Si l’imprévu ne vous effraie guère et que vous considérez chaque carte et chaque dé comme une opportunité plutôt qu’une fin, Arcs vous séduira. Avec son système abordable, malin et ouvert aux plus grandes manigances, il a su séduire des amis peu enclins aux jeux d’affrontements, des proches fermés aux jeux experts et de gros joueurs tiraillés par les options disponibles au cours de leur partie. Il a su me séduire aussi malgré une phase de bataille punitive aux antipodes de ce que j’apprécie. Cette tâche s’estompe cependant face au dynamisme des parties et au délicieux casse tête progressif qu’elles représentent. Le jeu s’adapte de plus au nombre de joueurs pour des parties agréables à 2 ou 3, bien que l’essence du titre se ressentira surtout à 4. Mon seul regret : le tarif élevé de la future extension, une campagne évolutive déjà disponible outre atlantique, certes dispensable mais ô combien qualitative et alléchante.
Page BGG du jeu (en anglais) | Un titre évoqué dans ma rétrospective 2024 et dans la liste des jeux à suivre en 2025.