Déjà 5 mois que Civolution est disponible dans la langue de Molière. 5 mois que je tiens à lui dédier un article. C’est, après tout, un jeu évoqué dans la liste des titres les plus prometteurs de l’année mais, pris par de nombreuses tâches j’ajourne puis ajourne encore ledit billet. Avec les congés apparaissent cependant les opportunités, et bien que Civolution mériterait un test aussi complet que son système de jeu, il est enfin temps de parler de cette œuvre remarquable.

Simulateur de civilisation 2.0

« Prenez place, chers étudiants. Votre parcours scolaire au sein de notre Académie de la création arrive à son terme. Il ne vous reste qu’une épreuve : Civolution. Une dernière étape pour prouver vos compétences en conception de civilisation, nécessaire pour rejoindre les rangs de membres de l’Académie. Installez-vous chacun devant une console de commande, nous préparons le simulateur. Scénario choisi : Observation d’espèces humanoïdes sur continent isolé. »

Maxime, membre de l’académie depuis Avril 2025.

Il a un peu craqué Stefan FELD (Les châteaux de Bourgogne) pour le thème de Civolution, son dernier jeu. Un eurogame dense, riche tant au niveau du matériel que des mécaniques, intimidant par nature mais diablement bien fichu.

Dans Civolution, jusqu’à 4 joueurs s’affrontent sans verser de sang pour voir qui fondera la civilisation virtuelle la plus évoluée. Ou à minima, celle qui engrangera le plus de points de victoire. Ici, pas de référence historique ou de passage des âges, il ne s’agit pas d’un énième jeu de civilisation traditionnel. La simulation se veut froide et calculatoire, proche de l’abstraction et loin de l’épopée romanesque de certains jeux du genre. Malgré sa présence imposante sur la table et son omniprésence dans chaque élément du jeu (les cartes, les puces, les modules…), la thématique pourtant originale demeure cependant discrète. Vous la remarquerez si vous le souhaitez, sinon vous passerez outre, davantage immergé dans les nombreux rouages de l’impressionnante mécanique conçue que dans sa présentation ou sa narration. Car Civolution est un jeu lourd, surprenant d’intuitivité une fois pris en main mais un poil effrayant aux premiers abords. Les raisons : des plateaux de jeu chargés, 22 actions différentes et un livret de règle épais en proportion (44 pages, puis 8 pour les aides individuelles).

Civolution : 6 dés pour 1001 22 actions

Passé les étapes de mise en place et d’administration qui agrémentent les 4 tours de votre partie, le cœur de Civolution tourne autour d’une phase d’actions originale régie par l’activation de dés (6 dés en début de partie). Une fois lancés, sauf en début de partie, vos dés sont placés sur votre console et déterminent les actions que vous pourrez réaliser, à hauteur de 2 dés de valeur précise par action. La migration -déplacement d’une tribu sur la carte- demande par exemple un 3 et un 1, quand la production de ressources demandera un 5 et un 3. Sur les 22 actions disponibles (17 si on chipote) 15 existent sous forme de modules améliorables 2 fois chacun afin de bénéficier d’effets plus puissants pour les activations ultérieures (comme construire 2 bâtiments en une action au lieu d’un). De ce nombre découle un constat évident : Civolution propose d’innombrables voies vers la victoire à la façon d’un bac à sable stratégique.

À tour de rôle, les participants effectuent chacun une action en prenant soin d’optimiser leurs options, et ce pendant 2 ou trois tours de table. Dès que le besoin se fait ressentir, par l’absence de dés sur la console ou une paire restante à jeter ou conserver, un joueur peut récupérer puis relancer ses dés au lieu d’effectuer une action. Au bout de X relances tous joueurs confondus, la phase d’action prend fin.

Si à première vue Civolution baigne dans le hasard, que l’on retrouve aussi dans la mise en place et dans le tirage de cartes et de tuiles le long de la partie, en réalité ce dernier est mitigé par le nombre d’actions possibles, le gain de dés supplémentaires et les différents jokers existants. Vous ne pourrez peut-être pas toujours faire ce que vous voulez, mais vous pourrez toujours vous adapter en agissant de façon différente et tout aussi significative. Avec 30 à 40 actions par partie, une poignée d’actions sous-optimales ne ruineront de toute manière pas votre plan. Une poignée de mauvaises décisions en revanche, un peu plus. Il en résulte un moteur de jeu réglé au millimètre, parfois frustrant mais jamais punitif, avec des engrenages bien huilés qui proposent une expérience à la fois stratégique et tactique, d’une finesse et d’une richesse époustouflantes.

Stratégique car les principaux enjeux sont connus d’avance. En début de partie, un tirage aléatoire détermine l’importance des 9 critères de score ainsi que le défi majeur pour chaque tour. Pour vous donner une idée, votre civilisation sera jugée sur 5 pistes de progrès (culture, construction…), le nombre de territoires sur lesquels elle est présente, la taille de sa population, ses évolutions génétiques et ses richesses. Chaque partie accordera plus de points à tel ou tel critère, tout en laissant l’ensemble se fondre suffisamment pour offrir des stratégies ouvertes au lieu d’un tunnel dans lequel tout le monde s’engouffre par peur de finir à la traîne.

Tactique car chaque tour représente une opportunité de plus, grâce à des objectifs éphémères, pour engranger de nombreuses récompenses. C’est d’ailleurs à ce niveau que l’on ressent la friction maximale entre les joueurs, Civolution proposant de façon générale une interaction légère et pacifique. Et tactique bien sûr car les dés réduisent quand même votre marge de manœuvre malgré les jokers. Il faut sans cesse s’adapter à la situation et nager dans le sens du hasard plutôt que chercher à lutter face au courant. À la fin, le vainqueur ne sera pas le plus chanceux mais le plus malin.

Une console aux rôles multiples

Mais du coup, on fait quoi dans Civolution ? Et bien on explore, on migre. On procrée, on chasse. On construit des fermes pour assurer notre survie, des colonies pour augmenter nos revenus à chaque ère (tour), des bateaux pour naviguer au large et des totems pour remercier Dieu (vous) de nous avoir crée. Puis on produit des ressources, que l’on transporte vers la console pour les utiliser ou les revendre. On évolue enfin, tant sur nos caractéristiques biologiques qu’en terme de savoir, pour débloquer de nouvelles compétences et viser de nouveaux succès.

Une partie des actions s’effectuent sur le plateau central et modulable, le continent. Le reste se joue via des cartes, des puces et des tuiles que vous insérez au-dessus de votre console. Ces éléments, qui requièrent en général une dépense de ressources ou des prérequis (génétiques ou situationnels), apportent des bonus immédiats ou des récompenses de fin de tour, de nouvelles actions et des effets en cascade liés aux actions de base. Mais surtout, ces ajouts au-dessus de votre console rapportent une quantité colossale de points de victoire en fin de partie, en aucun cas obligatoires si votre stratégie cible le continent mais toujours bienvenus.

Dans ce système complexe, une multitude de facteurs s’imbriquent et permettent d’arriver à notre fin de multiples façons. Par exemple, peu après la phase d’actions les joueurs nourrissent leurs tribus afin de les maintenir en bonne santé. Vous pouvez construire des fermes pour nourrir les habitants des régions qui les reçoivent, mais aussi chasser ou commercer pour obtenir de la nourriture à l’unité. Les réinitialisations de dés permettent également d’obtenir des rations supplémentaires, si vous préférez cela à un joker. Pour obtenir des ressources, 6 options s’offrent à vous, dont les puces revenus à insérer dans votre console. Pour ce qui est des mitigations du hasard, vous pouvez utiliser une ou plusieurs idées, qui permettent chacune de modifier à +/-1 le dé souhaité, ou utiliser un marqueur de concentration qui se transforme en dé (supplémentaire) de la valeur de votre choix. Vous pouvez gagner des dés additionnels, des idées et des concentrations via les actions dédiées. Vous pouvez sinon les recevoir de façon passive via des puces et autres récompenses. Une telle ouverture demeure aussi rare qu’agréable, surtout sur table où la complexité se doit d’être contenue pour faciliter la compréhension.

Le jeu croule enfin sous les mécaniques secondaires, que je survole ou ignore dans cet article. Par exemple, les joueurs qui aiment la prise de risque ou se lancent dans une stratégie autour de la foi peuvent s’appuyer sur le lancer de dés du destin pour approfondir leurs actions. Les tuiles que les joueurs explorent viennent pour leur part chambouler les plans, comme ces volcans qui empêchent la construction de ferme ou ces glaciers qui fragilisent les tribus adjacentes. Enfin, les cartes évènement, celles qui mettent les joueurs en compétition à chaque tour, modifient la météo pour le meilleur ou pour le pire. Je vous le dis, ce jeu est… dingue.

Complexe et pourtant si intuitif

Un tel curriculum a de quoi faire fuir. Et pourtant, passé le premier tour de jeu Civolution se révèle intuitif. Vous garderez précieusement l’aide de jeu le temps des premières parties, ne serait-ce que pour vérifier les effets des actions jamais jouées, mais au final le livret sommeillera à vos côtés plus qu’il ne vous accompagnera. La raison : une iconographie claire, des plateaux de jeu bavards en infos et des actions aussi brèves à effectuer que simples à retenir. Grâce à ce dernier point, le jeu se permet le luxe de proposer une expérience fluide, même à 4 joueurs. Les tours de table s’enchaînent sans temps mort, avec souvent la surprise de devoir rejouer alors que l’on se penche tout juste sur ce que l’on va faire. Pour un jeu expert, c’est bluffant. On retrouve cette intuitivité jusqu’aux rangements inclus par défaut dans la boîte, qui organisent la majorité des composants à l’exception du plateau central avec brio. Quant aux consoles, elles se plient avec les modules rangés à l’intérieur et épousent l’espace libre de la boîte.

Bon, en sa qualité de jeu expert Civolution peut cependant traîner en longueur. Comptez 3 à 4 heures pour vos premières parties, le temps d’assimiler les règles. Ce temps tombera ensuite à moins de 2 heures avec un groupe réactif, sauf si vous pratiquez avec un ami enclin à la paralysie analytique, pire ennemi d’un tel jeu. Le jeu demande également une grande table pour jouer dans le confort, surtout à 4 joueurs. Privilégiez un support large que long pour accueillir les consoles de chacun autour du plateau central. Ce que j’apprécie d’ailleurs avec Civolution, c’est sa capacité à rester agréable peu importe le nombre de joueurs. En solo ou en face à face le continent manquera de vie comparé à 4 (cf. les photos issues de parties en solitaire) mais l’impact reste négligeable au vu de la faible interaction générale. À ce sujet, je recommande une nouvelle fois le site web brdgm.me (présenté dans mon test de Age of Innovation) qui simplifie le jeu en solo grâce à la gestion automatique du bot. Depuis un téléphone il fonctionne à merveille et motive à se lancer une partie. Sur ce je vous laisse, j’ai une revanche à prendre face à cet automa coriace.

Civolution passe l’épreuve haut la main

Sans surprise, Civolution rejoint avec facilité la liste des jeux auxquels jouer cette année . Entre la richesse de ses mécaniques, son degré de rejouabilité et sa capacité à s’adapter au nombre de joueurs autour de la table, le jeu possède de sérieux atouts pour séduire les esprits experts et amateurs de jeu en solitaire ou de joutes pacifiques entre amis. Et bien que l’année risque de se terminer avec de belles surprises ludiques, Civolution reste pour l’instant mon coup de coeur de 2025 dans la catégorie jeux de société.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *