Les Français sont à l’honneur, si je puis dire, dans le dernier volet de la série SGS. L’équipe derrière le convaincant Battle For Hué nous transporte en effet une nouvelle fois au Vietnam, 14 ans plus tôt, pour recréer la bataille la plus célèbre de la guerre d’Indochine : Diên Biên Phu. Un exercice osé au vu du conflit dépeint, pour un résultat bien différent du reste de la série et du wargame en général.
Sur le même principe que le test de Battle For Hué, cet article n’explique pas le système SGS mais explore les nouveautés propres à Dien Bien Phu. Je vous invite cependant à lire l’article sur le précédent jeu car les deux partagent de nombreuses mécaniques que je ne reprends pas en détail ici.


Dien Bien Phu : Un théâtre aussi glauque qu’idéal
13 mars 1954. Commandées par le général Giap, les forces du Viêt Minh entament l’assaut de la plaine de Diên Biên Phu. Cette cuvette de 17 km, devenue base stratégique de l’Union Française et symbole de la dernière chance, deviendra le théâtre d’un affrontement historique qui se soldera, après 57 jours de bataille, par une victoire décisive pour le Viêt Minh.
Voilà un curriculum idéal pour l’itération battle de SGS. Suite spirituelle de Battle For Hué, Battle For Dien Bien Phu continue d’étendre la série avec une expérience stratégique nouvelle et un approfondissement supplémentaire des mécaniques. Au-delà des jeux d’attaque ou de défense respectifs à chaque camp, le but consiste à faire craquer l’adversaire en montant ou abaissant le niveau de tension intégré avec les derniers épisodes. Ici appelée indice de détermination (pour le camp Viet Minh) et d’épuisement (pour le Français), il fluctuera selon les pertes occasionnées, les victoires locales et les évènements survenus. Si le 7 mai 1954 aucun camp ne gagne la partie, le jeu départagera après analyse de la situation. Petite nouveauté, la campagne s’accompagne d’objectifs historiques donnés aux joueurs, qui influeront entre autres sur ledit indice. Par exemple, les forces du Viet Minh commenceront la partie en devant capturer le secteur Gabrielle (nord) dans les 4 premiers tours. Une réussite leur permettra de conserver une dynamique positive, au détriment des Français qui subiront des pertes additionnelles. En parallèle de la campagne historique d’une durée de 10 à 15 heures, le jeu intègre une variante what if aussi longue qui explore de nouvelles situations dont l’intervention Américaine avec l’opération Vulture.




Des mécaniques adaptées pour la guerre d’usure
Fidèle dans les grandes lignes aux précédents opus, Battle For Dien Bien Phu place l’habitué de la série dans sa zone de confort. Mais si d’habitude SGS propose une expérience riche en manœuvres et engagements, le jeu subit cette fois une légère refonte pour s’adapter au conflit et vise à retranscrire les difficultés techniques et psychologiques d’une guerre d’attrition. Sur ce point, c’est pour moi une franche réussite.
Pour ce faire, le jeu réduit drastiquement le nombre d’ordres possibles par tour. Exception faite des cartes d’offensive divisionnaire qui arrivent aux moments clés du conflit et activent le gros de vos forces, le reste de la partie vous cantonnera au déplacement de 1 ou 2 empilements d’unités par tour en moyenne. Cette limite contraignante freine les ardeurs des deux camps et les invite à utiliser davantage les ordres pour reformer vos forces et grignoter des territoires avec parcimonie. Dit autrement, en dehors des grosses opérations l’essentiel de votre temps de jeu consistera en une préparation minutieuse ponctuée d’échauffourées au caractère éphémère. Attribuez soigneusement vos rares renforts, formez des armées équilibrées pour affronter la menace qui vous fait face, puis positionnez-les de façon à maximiser vos chances lors du prochain assaut. Le jeu approfondit ici le découpage des combats par étapes pour une expérience à la fois plus crédible et réfléchie (on oublie définitivement l’envoi d’empilements massifs non étudiés) mais aussi plus punitive. Avec le faible renouvellement d’unités prévu dans la partie, chaque erreur se paie forcément plus cher qu’à l’accoutumée. Peu présentes sur Hué, les cartes évènements reviennent en douceur pour agrémenter les tours d’options tactiques ou impacter l’indice de détermination/épuisement.






Si les unités terrestres restent sur leur garde faute de renforts en quantité convenable, l’artillerie et l’aviation se révèlent en revanche omniprésentes. À vrai dire, elles jouent presque le premier rôle dans cette guerre d’usure tant elles demeurent décisives sur le long terme. Au début de chaque tour, les deux camps déterminent les cibles de nombreuses attaques distantes à plusieurs desseins : appuyer une bataille terrestre, amenuiser un groupe ennemi ou cibler la logistique de l’adversaire. Bien que simpliste et un peu redondant, ce pan jusque là anecdotique dans la série bénéficie enfin d’un surclassement que j’accueille à bras ouverts !






Le jeu renforce également l’importance des fortifications déjà bien intégrés dans Hué. Si le joueur Viêt Minh peut construire des tranchées sommaires lors de sa progression pour se protéger ou mieux étrangler le joueur Français, il devra en contrepartie éliminer les pions obstacles comme les barbelés pour capturer un secteur. Autrement, la bataille est perdue. Malgré une représentation abstraite, pions obliges, qui génère à première vue des situations absurdes avec un barbelé survivant qui arrête une armée, en réalité l’idée se tient. Il ne faut pas l’interpréter à la lettre mais comprendre sa philosophie, comme on le ferait avec un jeu de société. Le barbelé survivant signale que les forces Viet n’ont pas su capturer le secteur à temps, ralenties par les obstacles, et qu’il leur faudra réessayer le jour suivant. La frustration se dissipe pour laisser place à la réflexion. Pour capturer la prochaine zone fortifiée, pensez à intégrer davantage de sapeurs -qui fragilisent les défenses lors d’une étape de la bataille- ou frappez davantage le secteur à l’artillerie.
Le jeu ne plaira au final pas à tous les joueurs. En effet, la perte de tempo inhérente au conflit et aux nouvelles mécaniques rend l’expérience plus statique, plus monotone (plus… passive ?) au risque de trainer en longueur, surtout sur la fin de la campagne. La bataille fut un véritable bourbier et en ce sens, le jeu simule avec brio les difficultés auxquelles ont dû faire face les deux camps. Personnellement, j’adore l’idée. Au point d’ailleurs de me demander si nous ne sommes pas mal habitués, à jouer des conflits de haute intensité souvent réduits à leur plus simple appareil. Ces phases d’accalmie et de préparation jouent pourtant un rôle clé et se révèlent au final intéressantes à explorer (et à subir), à condition d’accepter le rythme en dents de scie qui en découle. Même constat pour les obstacles et l’artillerie, qui malgré l’abstraction des pions m’ont plus convaincu que sur de nombreux wargames.




Logistique & co
Un bref chapitre sur la logistique, capable de jouer un rôle majeur dans votre opération. Enclave oblige, le Français se ravitaille par les airs. Une piste d’atterrissage endommagée entraverait donc sérieusement sa défense… Quant au Viet Minh, il se ravitaille via des zones de transit en provenance de la Chine et qui ruissellent autour de la carte. Ces zones hors province, composées de maquis et des routes principales du pays, nécessitent tout un dispositif pour maintenir la connexion jusqu’à la région : à minima un dépôt, un camion et un travailleur dans chacune. Autrement la ligne est rompue. De ce postulat, le joueur Français cherchera à frapper les maillons clés quand le Viêt Minh tentera de les défendre avec des unités terrestres et des canons antiaériens. À l’inverse, le joueur Vietnamien peut attaquer les aérodromes Français chargés de parachuter des vivres et des troupes une fois la piste de Dien Bien Phu hors service. Ce qui se passe à Dien Bien Phu… ne dépend pas que de Dien Bien Phu ! C’est peut-être mon côté masochiste qui parle, mais trouvant l’idée bonne j’aurai apprécié la voir étendue jusqu’aux zones entourant la plaine. En l’état, et probablement pour cause de véracité historique, elle m’apparaît fantomatique au vu du travail qu’elle a demandé et je préfère le système utilisé sur Battle for Hué, plus simple mais également plus impliquant.
Je fais l’impasse sur la ribambelle de petites nouveautés qui épicent l’expérience sans la dénaturer, comme la possibilité d’attaquer de nuit pour un bonus offensif au prix d’une baisse de moral. Le jeu intègre un manuel accessible via le menu et listant en détail les règles spécifiques de cet épisode. Il se révèle cependant peu pratique à l’utilisation. Coincé entre passion et générosité, le rédacteur s’étend dans les explications au risque de rendre le résultat certes éducatif mais trop littéraire. On s’y perd un peu. Plutôt que 25 pages, 10 suffisaient peut-être, avec en annexe les explications.






Du travail d’orfèvre sur un support fébrile
Comme à son habitude, cette équipe à qui l’on doit Hué ou Nato’s nightmare a le sens du détail et nous immerge avec succès dans le conflit. Ne connaissant pas cette bataille je me suis régalé à la découvrir, aidé par la rigueur historique dont le jeu fait preuve et une fois de plus emporté par la superbe bande-son composée de musiques instrumentales et de chants militaires des deux camps. Bien que la trouvant moins entêtante que celle de Hué (celle-là va vraiment me hanter jusqu’à la fin de mes jours), j’esquisse toujours un petit rictus diabolique chaque fois que je lance le jeu, prêt à entendre ma compagne souffler dès les premières notes en se demandant si je ne suis pas un peu cinglé.
Si dans l’ensemble la réalisation s’avère soignée, avec entre autres une sensible amélioration de la lisibilité, je regrette une nouvelle fois la sortie d’un jeu pas totalement fini. D’un côté, on ne peut que saluer l’envie de cette équipe d’étoffer le moteur SGS. Leur boulot est remarquable et ouvre la série à des titres toujours plus crédibles et exigeants. D’ailleurs, une mise à jour gratuite de Nato’s nightmare, une véritable refonte du jeu, s’apprête à sortir. Seulement, et je me mets ici à la place d’un public non averti, il est difficile de justifier l’absence de mécaniques sur un jeu sorti sous prétexte qu’elles ne sont pas encore assez testées. On ressent également les limites du moteur via des détails agaçants, comme la nécessité de défaire à chaque tour certains empilement d’artillerie pour s’en servir ou encore l’impossibilité d’accélérer le lent déplacement des nombreux pions ennemis, comme ces dizaines d’avions qui traversent tous les tours la carte les uns après les autres et étirent un rythme qui n’avait pas besoin d’un tel coup de pouce. Enfin, mon expérience fut ternie par de nombreux bugs liés à au fonctionnement de l’ia, la plupart bénins mais non moins fâcheux. Dien Bien Phu propose de belles choses mais se traîne un boulet technique qui le réserve à un public patient et indulgent.
Parlons justement de l’ia. Si elle joue avec des règles sensiblement différentes des nôtres, notamment sur la question du ravitaillement, elle se révèle coriace -en expert du moins- et bien adaptée à ce type de conflit. Elle prendra bien sûr des décisions pas toujours optimales et parfois stupides, mais elle saisira surtout les opportunités lorsqu’elles se présenteront. Un exemple sur la troisième capture, où lors de l’opération historique des 5 collines j’ai laissé une faiblesse derrière ma percée. Le tour suivant, au lieu de combattre de face elle m’encerclera, me faisant ainsi perdre du temps puis mon objectif. Privilégiez tout de même le jeu face à un humain si vous en avez la possibilité.






Oui, mais…
Si Battle For Hué reste ma préférence, Dien Bien Phu me séduit par son approche lente et insidieuse. Les manœuvres et batailles de contact perdent sensiblement en importance au profit d’une vision stratégique centrée sur une bonne gestion de l’attrition. Si j’adhère pour ma part à l’idée, son caractère punitif et son rythme particulier ne conviendront toutefois pas à tous les profils. Moins révolutionnaire que la bataille pour Hué, moins élégante aussi, Dien Bien Phu étoffe quand même la série SGS qui évolue dans le bon sens mais affiche de sérieuses limites techniques. Un bel épisode qui requiert patience et indulgence en raison des défauts énoncés.
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