Test | Unconscious Mind

Le début du 20ème siècle marque l’essor de la psychanalyse, approche thérapeutique fondée par Sigmund Freud et centrée, entre autres, sur l’étude des rêves et de l’inconscient. Sur une période de 6 ans, de 1902 à 1908, Freud recevait tous les mercredis à son cabinet un groupe de psychanalystes pour échanger sur le sujet et partager leurs hypothèses et découvertes. Ce cercle avait un nom : La société Psychologique du Mercredi. Près d’un siècle plus tard, le cercle renaît de ses cendres sous la forme d’un jeu de stratégie : Unconscious Mind.

Sur les traces de Freud

Unconscious Mind vous place dans le rôle d’un apprenti de Freud (Jung, Adler, Hilferding ou Spielrein) dont le but est de gagner en notoriété grâce au soin de patients et à la publication de traités. Ce jeu pour experts relativement complexe mélange de façon habile les principales mécaniques du genre, du placement d’ouvriers à la construction de moteur en passant par la programmation d’actions et la gestion de ressources. Mais s’il excelle en un point, c’est bien dans sa thématique.

Un très beau jeu de société

En effet, ce projet issu de Kickstarter jouit d’une réalisation sans faille, tant dans la qualité des composants que dans la direction artistique. Unconscious Mind est magnifique. Le genre de jeu qui, installé sur une table, attire l’œil d’une population à la base insensible à notre fabuleux loisir. Je vous laisse admirer les galets, les encriers massifs et les cartes rêves car les photos parlent d’elles-mêmes. On trouve peut-être plus élaboré, mais pas pour 60€. Ce soin apporté au visuel participe avec évidence au plaisir de jeu et à l’établissement d’une thématique forte. Pourtant, je n’irai pas jusqu’à considérer Unconscious mind immersif. La cause : une complexité parfois tarabiscotée qui disperse notre réflexion et nous empêche de réellement profiter de ce travail d’orfèvre.

Déroulement d’une partie de Unconscious mind

On pourrait résumer une partie de Unconscious mind comme suit. À tour de rôle, chaque joueur effectue une famille d’actions parmi trois :

  • Énoncer des idées : terme thématique pour décrire la pose d’ouvriers, le coeur du jeu.
  • Rassembler ses idées : une promenade dans Vienne visant à récupérer vos “ouvriers” et gagner du café, ressource coup de pouce.
  • Traiter un patient

Et ce sans trêve, jusqu’au moment où Freud atteint 10 points de réputation.

Énoncer ses idées

L’essentiel de la partie consiste à énoncer ses idées autour de la table de réunion.

Lors de votre tour, vous pouvez poser une à deux idées sur la table afin de déclencher autant de fois l’emplacement visé. Particularité : on ne place pas les idées sur un emplacement mais sur une intersection, en les pointant vers l’action souhaitée. Ainsi, certains emplacements pourront être activés à plusieurs reprises, par le même joueur ou non.

L’action la plus importante consiste à collecter des tuiles pour les positionner sur son plateau individuel afin de construire un moteur et ouvrir son jeu. Parce qu’après avoir bénéficié des effets de l’emplacement choisi, le joueur déplace l’encrier de son plateau individuel -d’un nombre de cases dépendant de l’endroit de pose de l’idée- et active la ligne ou la colonne de tuiles présente en face de l’encrier. Les effets varient mais tournent en général autour de la génération ou du développement d’une ressource : les intuitions. Ces dernières, au nombre de 9, se situent sur une rondelle annexe et servent à élucider les rêves de vos patients pour les soigner. Si le joueur ne souhaite pas investir dans une tuile, il peut à la place agir sur ses intuitions, effectuer des recherches scientifiques, publier un traité ou déplacer son pion (ou celui de Freud) sur le plateau représentant Vienne.

Rien à dire sur cet aspect du jeu, sinon qu’il est réussi. Les options sont limitées mais se valent, à part peut-être le gain d’intuitions et le déplacement de Freud, plus situationnels. Le principe de la double idée est excellent et ajoute du dynamisme au rythme puisque les joueurs ne rassembleront pas leurs idées au même moment. Enfin, les joueurs luttent sur le plateau mais la frustration reste limitée grâce à la présence de plusieurs emplacements pour une même action.

Lorsque vous n’avez plus d’idée en réserve, vous pouvez convertir vos cafés en idées temporaires ou passer à l’étape de rassemblement, équivalent de la phase de fin de manche qui n’existe pas ici.

Traiter des patients

Enfin, votre rôle reste de soigner vos patients. Ils arrivent dans votre cabinet détruits, vivant derrière un masque et hantés par deux rêves, un latent et un manifeste. Afin de les guérir, vous devrez regrouper les intuitions nécessaires pour faire « disparaître » les rêves et, si besoin, utiliser des pilules, ressource joker, pour accélérer le traitement. À mi-chemin de la guérison, votre patient tombera le calque qui fait office de masque, vous octroyant un premier gain de ressources et de points de victoire. Puis une fois guéri, outre un second pactole le patient vous apportera un bonus tactique pour le restant de la partie. Vous rencontrerez des patients de routine, plutôt faciles à guérir, et des études de cas plus complexes mais plus avantageuses. Si le tirage se fait de façon aléatoire et vous propose une sélection de 4 patients (2 de chaque type), vous seul choisissez qui entrera dans votre cabinet. La mécanique est intéressante, seulement je m’interroge sur le rôle des calques. Leur valeur thématique vaut-t-elle le hasard et les manipulations qu’elle rajoute ?

Unconscious Mind : un jeu de stratégie pour joueurs avertis

Zoom sur la zone de jeu individuelle

On entre en terres expertes avec la zone de jeu individuelle. Si la rondelle d’intuition ne présente pas de difficultés et que le cabinet de consultation se comprend vite, le plateau soignant s’avère plus coquin. Deux mécaniques à retenir :

  • En complétant une ligne ou une colonne de tuiles, on débloque des galets d’intuition supplémentaires, un énième bonus puis de la réputation.
  • En déplaçant l’encrier on occasionne un effet dépendant de sa position d’arrivée. Soit on active une ligne, soit on génère des effets de réputation, soit on débloque de nouvelles idées ET on active la colonne de notre choix.

Si l’on devait résumer, il faut en priorité choisir des tuiles intéressantes puis optimiser leur placement pour générer les plus beaux combos. Mais également remplir à un bon rythme notre tableau pour obtenir de nouveaux galets, des bonus et de la réputation. Sans oublier de calculer notre placement d’idées pour faire tomber l’encrier sur les cases intéressantes et boucler rapidement plusieurs cycles afin de déverrouiller les nouvelles idées et les colonnes. Il en résulte une construction de moteur très, très sympa, mais costaud à maîtriser.

La publication de traités

En parallèle du soin de vos patients, vous pouvez diversifier votre activité et publier des traités scientifiques pour obtenir des points de victoire. Il faut pour cela effectuer des recherches et ainsi gagner des cartes représentant une tranche de livre colorée. Elles apportent divers bonus utilisées seules, mais une fois associées dans un ordre de couleur précis elles formeront, si vous le souhaitez, un traité. J’aime beaucoup cette mécanique qui apporte un axe stratégique supplémentaire, sans fioritures et respectant à merveille le thème. Elle apporte en outre une touche supplémentaire d’interaction puisque les joueurs peuvent s’aider des traités existants pour terminer leur ouvrage, avec un gain de points de victoire pour le joueur aidant.

Et puis il y a Vienne

Entre la table de réunion, le traitement des patients et la publication des traités, Unconscious Mind possède un socle solide de mécaniques. Pourtant, les concepteurs ont jugé bon de rajouter un plateau supplémentaire : Vienne. Déplacement d’unités, activation de bonus de lieu, de bonus de quartier… Un véritable fourre-tout s’y trouve, allant jusqu’à s’immiscer sur les patients et les traités pour générer une mécanique de majorité à base d’icônes ! C’est trop. De la complexité dans le seul but de générer plus de complexité, sans valeur ludique ajoutée.

Le jeu donne l’impression de vouloir trop en faire. Il étale des dizaines de micro-règles superficielles au lieu de se concentrer sur un ensemble réduit mais plus profond. C’est dommage car au final, passé la phase de découverte franchement intimidante, Unconscious Mind s’avère facile à jouer. Il dégueule seulement d’additions superflues qui n’apportent pas grand-chose si ce n’est alourdir l’expérience et ternir le plaisir le jeu. Il n’avait pas besoin de tout ça. Une bonne thématique et des mécaniques rodées suffisent pour produire un met d’exception. Quelques ingrédients de plus et c’est l’indigestion.

Bon, je râle mais il est quand même bien ce Unconscious Mind. Selon moi moins bon que Age Of Innovation ou Shackleton Base, sortis au même moment, mais plaisant. Et contre toute attente il ne s’éternise pas : 2h30 à 4 joueurs pour une première partie, installation et rangement non compris. Une durée raisonnable pour un jeu expert avec autant de manipulations et d’artifices. La mise en place se révèle en revanche fastidieuse du fait de nombreux éléments secondaires à trier ou positionner. Comptez 15 bonnes minutes avec un peu de pratique.

Et le solo ?

Le jeu se pratique en solo sous forme de duel face à un automa convainquant. Son fonctionnement diffère sensiblement de celui des joueurs mais garde la même trame. Il développe un moteur pré-construit lors de la mise en place, pose des idées, publie des traités et soigne les patients. Seulement, il fait tout cela à chaque tour, au risque de polluer le joueur avec de nombreuses procédures et manipulations. Comptez plusieurs parties pour jouer avec un semblant de fluidité.

Unconscious Mind frôle l’excellence mais n’y parvient pas

Unconscious Mind regorge de qualités mais pêche par son désir de trop en faire. D’un côté il frôle l’excellence, appuyé par son esthétique superbe et ses mécaniques aussi réfléchies que thématiques. De l’autre, sa propension à l’étalement dégrade l’expérience et peut générer une pointe de déception. Je le conseille donc aux collectionneurs d’eurogames qui tireront de cette belle pièce d’intéressantes parties, moins aux joueurs plus sélectifs et désireux de rester sur une ludothèque limitée capable de tenir sur la durée.

Intéressé par Unconscious Mind ? Plus d’infos sur la page de l’éditeur Lucky Duck ou de Kickstarter.

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