Après Stalingrad et Madrid, la déclinaison « grande » tactique de SGS nous emmène cette fois en 1968, au cœur du Vietnam, pour recréer l’une des batailles les plus sanglantes de ce conflit : celle pour l’ancienne capitale impériale, Hué. Un épisode conçu par l’équipe derrière NATO’s Nightmare et Fall Weiss, qui apporte une fois de plus son savoir-faire pour donner un nouvel élan à cette variante qui peinait à me convaincre.


Cet article n’a pas vocation à expliquer en détail le système SGS, maintenant bien ancré dans l’univers du wargame. Si j’explique brièvement de quoi il s’agit dans le paragraphe suivant, je me concentre majoritairement dans ce test à Hué et ce qu’il apporte à la série.
Un changement d’échelle symbolique
En effet, je suis resté sur ma faim en jouant aux deux premiers volets. Ils m’ont semblé légers et trop proches d’un SGS classique, donc à l’approche plus opérationnelle que tactique (même grande).
Un aparté pour ceux qui ne connaissent pas la formule SGS, il s’agit d’un système inspiré des jeux de plateau, avec des unités sous formes de pions capables de représenter un concept comme un bataillon. Chaque tour se déroule en plusieurs étapes, du tirage de cartes à la défense aérienne en passant par le mouvement des troupes terrestres, l’essentiel reste cependant le déplacement de pions. Bien que pensé pour le format informatique, le résultat en ressort forcément abstrait et parfois flou dans son fonctionnement, mais pas déplaisant. Parmi les points forts de cette série, son accessibilité, permettant de jouer de façon intuitive à des wargames de complexité modérée, ainsi que le gros travail de recherche effectué et les théâtres dépeints, souvent originaux, transformant ces titres en véritables cours d’histoire.
Pour en revenir à Battle, il n’y a par exemple, malgré le changement d’échelle, pas de gestion des lignes de vue (LoS) comme le ferait un Flashpoint Campaigns, lui aussi wargame de grande tactique. Ni de micro-gestion, ni même de portées de tir. Pour attaquer un ennemi, on déplace toujours notre empilement d’unités vers sa région, ce qui aura pour effet d’ouvrir une fenêtre de résolution de combats et ses multiples rounds régis par des lancers de dés.
En fait, je crois qu’il faut oublier cette idée de « grande tactique » et considérer les SGS Battle comme des simili wargames opérationnels malgré le théâtre restreint.


Une des spécificités de cette variante : le système d’ordres. Nous ne pouvons plus jouer l’intégralité de nos troupes à chaque tour mais devons dépenser des cartes activant un ou plusieurs empilements d’unités. Cette contrainte, lourde aux premiers abords et censée simuler les limites de commandement, se révèle une excellente idée, nous forçant à économiser nos directives et surtout à bien (re)positionner les unités à chaque tour. Jamais frustrant car équilibré, du moins sur Hué, il permet au besoin d’activer massivement ses troupes, quitte à risquer un tour suivant plus statique.


C’est donc avec appréhension, mais aussi une certaine confiance, que j’ai lancé Hué. Cette équipe a su bonifier la série à deux reprises, grâce aux couches de complexité ajoutées mais surtout au sens du détail et au soin apportés à chaque aspect du jeu. Pour faire court, il en est de même avec Hué, qui continue de peaufiner la formule et nous offre un agréable moment belliludique. Bien que l’échelle tactique reste encore abstraite, on ressent une différence avec les autres opus et comme espéré, le jeu fourmille de détails, respire l’authenticité et propose un défi intéressant même en solo grâce à son ia bien pensée.
Bienvenu en 68
Connue pour ses nombreux mouvements de révolte, dont certains en raison de la guerre au Vietnam, l’année 1968 accueille du 30 janvier au 03 mars la terrible bataille de Hué. Lors de cette opération menée dans le cadre de l’offensive du Têt, l’armée Nord-Vietnamienne aidée des Vietcongs tente de capturer la ville sous contrôle Sud-Vietnamien, soutenus de leur côté par les Américains. Une bataille perdue pour les communistes face aux troupes du « Free World », qui a néanmoins secoué la population en raison du symbole que représente l’ancienne cité et des 5800 civils tués ou utilisés comme boucliers humains. Un lourd tribut pour « seulement » 28 jours de bataille. Retranscrit en jeu, cela donne une course initialement en faveur des communistes, qui doivent rapidement prendre d’assaut la ville, assurer la logistique jusqu’à l’intérieur de celle-ci et fortifier leurs positions, avant la contre-attaque du rouleau compresseur Américain, qui rejoint progressivement le conflit dans le but de libérer la cité. Le tout, sous les chants Vietnamiens entêtants que vous vous surprendrez à fredonner pour le restant de vos jours. Terrible. Lorsque ça me prend d’un coup, au travail, je vérifie bien qu’il n’y ait personne autour.
Une évolution prometteuse de la série
Le premier coup de pied dans la fourmilière saute immédiatement aux yeux de celui qui a pratiqué la série SGS : il n’y a plus de cartes classiques. Ou presque. À quelques exceptions près, votre main se composera essentiellement des fameuses cartes ordres, activant de 0 à 4 unités, foutant illico à la corbeille cet aspect de jeu cher à la série pour uniquement se focaliser sur la réflexion de terrain. Que les amateurs de rejouabilité se rassurent, cette dernière se cache désormais dans la génération de renforts, partiellement aléatoires et influant donc sur votre plan d’action.
À vous de gérer avec les moyens du bord et de définir votre cap au fil de l’eau avec une boussole fonctionnelle mais incertaine. Le brouillard de guerre n’en devient que plus opaque, pour notre plus grand bonheur.


Nonobstant l’échelle « tactique », la logistique reste un élément central de votre stratégie. Treize sources extérieures à l’agglomération de Hué entourent le terrain de jeu et le ravitaillent depuis les régions en bordure. Vous obtiendrez, via les renforts, des unités à placer pour prolonger ces lignes de ravitaillement et former vos routes.
Quel que soit le camp joué, couper les lignes ennemies, et pourquoi pas capturer les zones hors cartes, sera un facteur décisif pour gagner la partie, usant ainsi progressivement les forces isolées pour les faire fuir ou mieux leur rouler dessus.


Mais c’est sans compter sur un problème de taille : la rivière des parfums. Ce fleuve coupe la ville en deux et rend les manœuvres plus difficiles. Libre à vous de traverser ce cours d’eau avec des bateaux, si vous en possédez, d’utiliser les ponts, destructibles à vos risques et périls, ou de renforcer les effectifs de l’autre rive. Cette lutte logistique, l’ia la comprend très bien et harcèlera sans cesse vos routes et vos sources. Impossible de les laisser sans défense. Dans l’ensemble, cet aspect est bien retranscrit, même si ce jeu de capture-recapture peut devenir rébarbatif si vous n’engagez pas immédiatement des moyens de défense conséquents.


Là où brille cet épisode par rapport aux précédents, c’est dans les étapes de combats, bien plus nombreuses et mieux pensées. Phase de reconnaissance, d’étreinte, d’embuscade, de snipers, d’artillerie… composer correctement ses empilements d’unités devient une nécessité, là où il suffisait avant, dans la plupart des cas, d’envoyer une plus grosse masse de troupes que son ennemi. Unités de soutien, de boost, d’encaissement des tirs… l’optimisation se pousse vers des sphères rarement atteintes, sinon jamais, dans la série. Il devient même possible, côté Vietcong, d’envoyer de vifs éclaireurs déclencher le combat, tirer sur l’ennemi, puis battre en retraite. Ce savoureux harcèlement permet en outre de découvrir les unités qui s’y trouvent, et ainsi mieux planifier son futur assaut.






Enfin, le jeu autorise une double percée en cas d’attaque réussie. Cette règle change la façon dont on organise notre défense, avec l’obligation de former une ligne secondaire ou, à minima, de positionner des troupes en retrait pour retenir l’ennemi. C’est simple mais efficace, et je suis curieux de savoir si ce concept réussira à être porté sur les SGS opérationnels.
Une guerre non conventionnelle


Les deux camps se jouent de façon bien différente, à la limite de l’asymétrie. Hormis les éléments cités plus haut, qui donnent une idée du jeu communiste, le jeu recèle de nombreuses unités aux capacités spéciales. Parmi elles, les agents Vietcongs infiltrés, les mitrailleurs des berges ou encore les otages et réfugiés, sous contrôle direct, que le joueur du Monde Libre essayera de protéger alors que le communiste cherchera à les tuer (c’est un fait historique) ou à s’en servir comme bouclier humain.


Côté Américain, on peut citer l’utilisation massive d’avions et hélicoptères pour attaquer et défendre loin derrière la ligne de front, ou encore la quasi-certitude de toucher à chaque attaque, abstraction de la surpuissance de ce camp. Côté communiste, la campagne virera enfin vers la fortification de son territoire, avec différents pièges, tunnels, ruines et bunkers de fortune qui auront pour but de ralentir l’ennemi.
Pour finir, alors que le communiste s’essoufflera au fil des tours, certaines unités Vietcongs diminuées gagneront en mobilité. À l’inverse, les Américains qui montent progressivement en puissance se trouvent freinés en subissant des pertes, simulant ainsi l’attention portée aux blessés.
Quid du contenu
SGS Battle For : Hué propose trois scénarios de durée variable, ainsi que la campagne complète de 31 tours. Comptez 10h pour venir à bout de cette dernière avec un camp.
En ce qui concerne le jeu solo, ce fut un plaisir d’affronter une ia proactive dans sa défense. J’ai parlé des lignes de ravitaillement qu’elle cherche à couper, elle tentera également de recapturer les secteurs clés et sait rester statique quand il le faut. Elle reste cependant encore perfectible et trop facile, même en expert, le niveau de difficulté recommandé si vous êtes joueur régulier. Pour apprécier ce conflit à sa juste valeur, le multi-joueurs reste roi.


État du jeu
En ma qualité d’aimant à bugs, j’informe avec joie n’en avoir rencontré qu’un, déjà corrigé. Le jeu sort dans un état de finition qui fait plaisir à voir, à l’image du soin apporté à la carte de Hué, “fait main”, et des nombreuses explications disséminées un peu partout en sus du livret de règles complet. Un léger reproche cependant quant à la lisibilité de l’ensemble, avec des unités vertes sur un terrain vert, sur lesquels on applique le filtre logistique aux bandes… vertes, quand la région est ravitaillée. Je me suis aussi fait avoir au début de la partie, en prenant les bordures des secteurs pour des ponts, ce qui m’a valu un grand moment de solitude après plusieurs tours d’approche. Enfin, le nom des régions ne facilite pas la compréhension lors des batailles (ex : Grid 764 322) et nous oblige à utiliser régulièrement l’outil de localisation. Rien de grave toutefois, je cherche ici la petite bête.






Le SGS qu’il vous Phô ?
Si vous adhérez à la formule SGS, Battle For Hué se révèle une valeur sûre et l’un des meilleurs opus de la série. Il peaufine chaque sous-système et continue d’approfondir l’expérience de jeu, tout en restant précis sur le plan historique. Moins intimidant que NATO’s nightmare et ses milliers d’unités, il n’en reste pas moins, malgré son accessibilité, un titre plus complexe que les précédents volets. Une évolution selon moi nécessaire mais qui peut rebuter ceux à la recherche de titres plus légers. Et si vous n’avez jamais touché à cette série et que l’abstraction inhérente à sa formule ne vous gêne pas, Hué reste un bon choix puisque maîtrisé de bout en bout et se jouant sur une échelle réduite.
Intéressé par SGS Battle For : Hué ? Sa page steam est un bon début. Je parle également à plusieurs reprises de NATO’s nightmare dans cet article. Un épisode de plus grande envergure, qui propose cependant un mode “basique” plus léger. Je l’ai mentionné dans ma liste des meilleurs jeux de 2023 et, si vous êtes abonné à la gazette du wargamer, j’y avais rédigé un test.
Captures diverses et commentées :













